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qu’au moyen d’une formule païenne. — Nous n’avons pas encore le droit de nous moquer de Louis XIV se faisant sculpter en Hercule ou en Apollon. — Un Romain du temps d’Auguste, qui reviendrait au monde et se promènerait dans Paris, pourrait croire que les douze grands dieux boivent toujours le nectar dans leur coupe d’or au sommet de l’Olympe, rien ne l’avertirait qu’il existe une autre religion ; il retrouverait à chaque pas des Pomones, des Flores, des Cérès, des Bacchus, des Vénus, des Mercures, des Termes, en aussi grand nombre qu’au temps des Césars. Singulier phénomène ! Jésus-Christ a bien pu détruire l’œuvre des théosophes et des mystagogues antiques, il a bien pu tuer l’idée du paganisme, mais non sa forme. — La religion d’Homère, de Phidias et de Cléomène subsistera toujours ; eux seuls ont connu le vrai beau, l’idéal cherché à travers la forme humaine. Dans la plastique des autres théogonies, il y a toujours quelque chose de barbare et de monstrueux, parce que la matière n’est pas mélangée à l’esprit dans une proportion suffisante : c’est à cette cause qu’il faut attribuer l’amaigrissement excessif de l’art gothique ; à force d’avoir peur de tomber dans la sensualité, les artistes catholiques n’osaient plus développer une forme ou soutenir un contour. — Le mysticisme effréné de l’Inde, la symbolique immuable de l’Égypte, n’ont pu, pour la même raison, se traduire que par des arts difformes, disproportionnés, souvent hideux. Ce n’est qu’après avoir long-temps étudié la Vénus et les marbres grecs que Raphaël a trouvé pour la mère de notre Dieu le type immortel de la madone, qui à son tour survivra peut-être à l’idée qu’il représente ; car il n’y a d’éternel dans ce monde où nous sommes que le génie et la beauté. Les religions, les lois, les mœurs, les civilisations et les empires, tout cela passe… Mais un ver d’Homère, un contour de Phidias, un trait de Raphaël, sont impérissables.

Ainsi donc M. Cortot, ayant à décorer un monument d’architecture grecque, a bien fait d’en accepter les conséquences, et de ne pas s’écarter des traditions de la statuaire antique ; seulement il faudrait, pour compléter l’illusion, obliger nos législateurs modernes à revêtir la tunique et la toge romaine. — Cela ne serait-il pas un spectacle fort agréable que de voir une théorie de députés drapés en statues romaines, et se déployant sur les marches de l’escalier de ce palais qu’on appelle chambre par une antinomie tout-à-fait impropre ?

En résumé, un autre statuaire aurait pu mettre plus de talent dans cette grande page sculpturale, mais non plus de convenance que M. Cortot : sa composition bien réglée, un peu froide, ni trop idéale,