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VOYAGE DANS L’ABYSSINIE MÉRIDIONALE.

jardin clos de haies accompagne ordinairement les habitations ; des bananiers, des mimosas, les ombragent, et cette verdure les pare mieux que ne pourrait le faire la main des hommes.

Les ordres du roi étaient arrivés. Sahlé-Salassi, souverain de Choa, attendait le voyageur européen ; le gouverneur du district devait lui servir d’introducteur et de guide. On partit le lendemain et l’on parcourut le pays le plus accidenté, le plus pittoresque du monde, des Alpes sous le tropique. Tantôt les mules se frayaient un chemin au milieu de montages de basalte ou de ravins qu’animaient des eaux vives, tantôt elles traversaient des champs de thèfle (petite graine dont on fait un pain mucilagineux), des carrés de dourah, d’orge, de lin, de fèves, de coton, ou de cannes à sucre gigantesques. Sur bien des points, la plaine ressemblait à une immense corbeille de fleurs. Les jasmins, les roses, emplissaient l’air de parfums ; des plantes grasses, prodiguées le long des sentiers, récréaient l’œil par leurs beaux fruits rouges et jaunes. Sur les hauteurs, des bouquets de coussotiers offraient, à cette époque de l’année, un spectacle merveilleux. Haut et vaste comme un chêne, cet arbre produit de longues grappes de fleurs, grappes coniques, de toutes nuances, vertes, pourprées, fauves, se mêlant et foisonnant sur les mêmes branches.

Vers la fin du deuxième jour, M. Rochet arriva à Angolala, résidence du roi. L’habitation du souverain ne se distingue de celles de ses sujets que par ses dimensions. De vastes cours, fermées par de hautes palissades, lui servent d’avenue. Cet espace était alors occupé par les officiers, les gouverneurs, les soldats et l’essaim des curieux. Le voyageur traversa cette foule, et fut introduit dans une salle circulaire, où se pressaient deux cents individus armés d’énormes flambeaux qui inondaient l’enceinte de torrens de lumière. Le roi, à l’approche de M. Rochet, se leva, lui prit les deux mains, les serra affectueusement, et lui demanda des nouvelles de sa santé. Sahlé-Salassi, souverain de Choa, est dans la maturité de l’âge : son port a de la majesté, sa figure est d’une régularité parfaite : sa chevelure noire, frisée avec soin, est relevée et fixée sur le sommet de sa tête. Il est fâcheux seulement qu’une ophtalmie incurable l’ait privé de l’œil gauche. Un air de bienveillance et de gravité respire dans les traits de ce prince. Son costume, drapé à la romaine, ajoutait encore à cet ensemble plein de dignité. Une pièce d’étoffe de coton, d’une blancheur éclatante, et bordée de bandes rouges, l’enveloppait de ses plis et flottait avec grace. Quand M. Rochet se fut assis auprès