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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

qu’ils étaient. C’est que dans l’intervalle l’auteur, comprenant quel parti il y avait poétiquement à tirer de cette contrée bretonne où un simple retour de cœur l’avait porté au début, s’y était enfoncé avec une sorte d’amour sauvage et d’ivresse impétueuse. Je crois le lui avoir dit souvent alors : lui, né pour Rome et pour Athènes, voyant les barbares déborder et les meilleurs se corrompre, il se réfugiait dans son Armorique et s’y cantonnait, s’y armait jusqu’aux dents, comme Sertorius en son Espagne. Mais ce n’était là qu’une phase.

Une part plus juste se fit bientôt avec le temps. Pour ses compatriotes mêmes de Léon et de Cornouailles, il écrivit des chansons dans le plus pur du dialecte local ; il conçut et il est en train de composer pour nous tous son poème des Bretons. Il vient de nous donner, en attendant, ses souvenirs de la Méditerranée et d’Italie. Marie enfin, dans sa troisième forme, n’a plus qu’à rester comme cela, sans une épingle de plus ni de moins, et à vivre.

Marie est le livre poétique le plus virginal de notre temps, c’est même le seul véritablement que je connaisse. Aux jeunes filles, quel autre à donner, je vous prie ? Si elles s’appellent Marie, il leur revient de droit avec un bouquet de fleurs blanches. J’en ai vu un exemplaire aux mains de deux charmantes sœurs à qui on l’avait envoyé parce qu’elles avaient un chagrin ce jour-là, et il y était écrit pour épigraphe ces deux vers :

Lire des vers touchans, les lire d’un cœur pur,
C’est prier, c’est pleurer, et le mal est moins dur.

Le Bonheur domestique, la Chaîne d’or, l’élégie du conscrit Daniel qui vient à Paris, et j’en pourrais citer bien d’autres, unissent à une forme parfaite et limpide une sensibilité douce, élevée, saine, qui émeut sans troubler, et qui fait mieux luire le ciel dans une larme.

Le joli volume, avec ses élégies à la pauvre villageoise qui reviennent à des intervalles et comme à des nœuds égaux, avec les autres pièces noblement calmes et unies qui y sont entremêlées, me paraît exactement comparable à cette houlette pastorale dont il est dit dans l’églogue,

Formosum paribus nodis atque ære, Menalca ;
De nœuds égaux formé, garni d’un bout de fer.

Ce bout de fer, ce sont les accens aussi, parfois éclatans et résonnans, qui n’y manquent pas.

On respire comme un parfum antique dans cette poésie ingénieu-