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VOYAGE DANS L’ABYSSINIE MÉRIDIONALE.

d’un tremblement convulsif. Dans ces plaines où le gibier abonde, le lion se défend contre l’homme, mais ne l’attaque pas. Il se promène devant les caravanes d’un air majestueux et d’un pas tranquille ; puis, quand il a fièrement passé en revue, il disparaît. L’Abyssin est habitué à ces allures impériales ; il s’en accommode, et moyennant ce pacte tacite, lions et naturels vivent fort bien ensemble.

L’Hawache n’ayant ni pont ni barques, ce n’était pas une petite besogne que de le faire franchir à une nombreuse caravane. On improvisa de petits radeaux avec du bois sec que l’on parvint à maintenir au-dessus de l’eau au moyen d’outres gonflées. Des nageurs poussèrent les radeaux d’une rive à l’autre, et, de cette façon, les bagages comme les marchandises traversèrent la rivière sans avarie. Restaient encore les femmes. On leur plaça des outres sous les aisselles ; puis, à l’aide d’une corde passée autour des reins on leur donna la remorque exactement comme à des navires. Ce devait être un curieux spectacle, que celui de ces amphitrites, dont le buste nu s’élevait au-dessus de l’onde, et que des nageurs, faisant l’office de tritons, entraînaient sous des voûtes de verdure. M. Rochet assure qu’à lui seul il a ainsi promené sur les flots dix Abyssiniennes. Il ne pouvait faire un plus galant début et une entrée plus chevaleresque dans le Choa. Le lendemain, la caravane se reposait de ses fatigues à Tiannou, village dépendant de ce royaume. C’était le 29 septembre 1839, cinquante-sept jours après le départ de Toujourra.

Notre voyageur venait de parcourir les cent lieues de désert qui forment ce que l’on nomme le royaume d’Adel. Huit tribus, comprenant une population de soixante-dix mille ames, occupent ce territoire. Les Bédouins de la tribu Ad-Ali, qui campent aux environs de Toujourra, sont noirs et de taille moyenne ; ils ont des cheveux crépus et le front découvert comme la plupart des Danakiles ; ce sont des musulmans fort relâchés. La tribu Debenet se rapproche davantage de la zone centrale ; la loi du sang est strictement observée chez elle. La tribu Achemali vient ensuite, et se distingue par des mœurs plus douces ; celle de Buéma a des habitudes farouches, et se rattache aux Ad-Ali par le type ; les Hasen-Meras composent la plus belle race de cette contrée, et pourront un jour la dominer ; les Ras-Bidar sont un mélange de noirs, de cuivrés et de basanés ; les Takaïdes, qui bordent les rives de l’Hawache, passent pour fort enclins au vol et à l’assassinat. Enfin, les Saumalis, qui occupent les montagnes situées au nord du désert d’Adel, ont sur les autres tribus tous les avantages que donne une organisation supérieure unie à