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fatigues, entreprenans et laborieux, qui peuvent tour à tour conduire la charrue et manier le glaive.

La première chose que font les Russes, quand ils veulent détruire les habitudes nomades d’une population, est de lui marquer certaines limites qu’elle ne doit pas franchir. Ils lui assignent des pâturages pour l’été, d’autres pour l’hiver, et, de cette façon, imposent déjà quelque règle à sa vie errante ; puis ils profitent des divisions qui de temps à autre éclatent dans son sein pour entraîner un des partis du côté de la Russie. Ils cherchent aussi à emmener dans l’intérieur de l’empire les principaux membres de cette population et à les retenir comme otages, pour les instruire et les renvoyer dans leurs steppes avec de nouveaux principes. Enfin la Russie essaie de faire naître parmi les hommes des steppes le goût des titres honorifiques et d’éblouir leurs regards par des cordons. Les sultans des Kirgesses et des Tartares qui se distinguent par leur fidélité reçoivent des ordres et diverses qualifications de chancellerie, et c’est chose curieuse de trouver dans de sales tentes de nomades, au milieu d’une assemblée grossière, les titres de conseiller et les croix qui brillent dans nos salons.

Les fonctionnaires russes-cosaques qui sont envoyés dans les tribus alliées de la Russie ne mènent point la vie errante des pâtres ; ils se choisissent une résidence stable, bâtissent une église, un hôpital, une école, une caserne. À ces établissemens se rattachent peu à peu les fils visibles et invisibles du réseau qui se forme et qui doit bientôt envelopper tout le pays.

L’administration de la Russie, dans les contrées qu’elle essaie de réformer, est large et généreuse. À part le monopole du sel et de l’eau-de-vie, elle ne leur impose aucun tribut. Ce qu’un particulier trouve dans sa terre lui appartient sans contestation. Il exploite à son profit toutes les mines qu’il découvre, que ce soient des mines de charbon, d’or, d’argent ou de pierres précieuses. Quelquefois on concède à des hommes industrieux de vastes domaines en leur en assurant la propriété si au bout de dix ou quinze ans ils sont parvenus à les exploiter, à y importer un certain nombre de mérinos, de ruches d’abeilles ou de ceps de vigne. Il y a aussi des récompenses pour ceux qui, étant déjà propriétaires d’un domaine, font quelque notable amélioration. Si un cultivateur se ruine dans ces essais d’exploitation, le gouvernement arrive aussitôt à son secours.

Ce système, qui produit de si grands résultats, a aussi de graves inconvéniens. Tout le monde veut avoir des terres dans cette contrée favorisée, pour obtenir les bonnes graces et les récompenses du gouvernement. Quiconque a un peu d’argent achète à bas prix un petit duché dans les steppes, attire de tous côtés des ouvriers, des artisans, des colons allemands, tartares, russes, moldaves, et le voilà s’empressant de défricher le sol, d’amasser des chevaux et des brebis, de planter de la vigne et des arbres fruitiers. Quand il a rempli cette tâche pendant une couple d’années, il embouche la trompette et somme le gouvernement de récompenser ses tentatives et son labeur. On nomme une