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Comme ces hordes avaient toutes des rapports différens avec la Russie, des mœurs et des croyances différentes, les lois qui leur étaient appliquées étaient toutes aussi d’une nature diverse. Avec les unes, on employait la force, avec d’autres, la persuasion ; celles-ci étaient forcées de se convertir au christianisme, celles-là conservaient leur culte. Chaque population était placée dans une catégorie spéciale, et chaque catégorie traitée selon certaines règles.

Beaucoup de nomades du sud de la Russie, tels que les Tartares de Kasan, d’Astracan, du Taurus, du Nogat, sont mahométans. D’autres, tels que les Grousiniens, Imérétiens et Arméniens, pratiquent le christianisme ; d’autres encore, comme les Karaïtes, sont de zélés sectateurs de la loi de Moïse. Le gouvernement russe respecte les croyances de ces populations, car il admet les trois religions chrétienne, judaïque, mahométane, avec toutes leurs sectes. Plusieurs de ces peuples, tels que les Kalmucks, les Baschkires, sont idolâtres ; le gouvernement tâche de les convertir à la religion grecque-russe, mais sans employer la contrainte. Enfin, il y a dans ces contrées plusieurs tribus dont on ne peut déterminer le culte. Les unes, telles que celles des Kirgesses, mêlent des dogmes mahométans à des habitudes chétiennes ; d’autres s’inclinent devant les églises chrétiennes et en même temps offrent des sacrifices aux génies des forêts et des montagnes ; d’autres enfin ont été tour à tour païennes, mahométanes, chrétiennes, et professent un tel amalgame de principes qu’on ne peut y reconnaître aucun caractère déterminé. Chaque année, le gouvernement envoie dans les steppes des missionnaires chargés d’instruire ces tribus et de les convertir par la persuasion. Dès qu’une communauté se forme, on bâtit une église. Le gouvernement donne lui-même les fonds nécessaires pour cette construction, et quelquefois aussi des vêtemens, de l’argent et d’autres récompenses à ceux qui se font volontairement baptiser. Les prêtres de ces églises fondent des écoles où chaque enfant, à quelque tribu qu’il appartienne, est reçu gratuitement, apprend à lire, à écrite, à compter, et étudie le catéchisme russe. On engage aussi plusieurs habitans des steppes à envoyer leurs enfans à l’école dans l’intérieur du royaume, d’où ils reviennent dans leurs familles convertis à la religion grecque-russe.

Pour amener quelques-unes de ces peuplades à s’occuper d’agriculture, on n’a plus recours à la persuasion, on emploie la force. C’est ainsi que les Tartares du Taurus et du Nogat ont dû s’astreindre à une vie régulière. On leur a bâti des villages, distribué des champs, et ils ont été obligés de les cultiver. C’est le prince Kotschubey qui a employé avec succès ces moyens d’action. Les colons allemands lui ont été d’un grand secours en prenant des Tartares pour domestiques et en les faisant travailler.

Depuis trois siècles la Russie lutte contre les nomades, et le succès de ses efforts date de l’alliance des czars avec les Cosaques, de la soumission de l’Ukraine et de la petite Russie, et surtout de l’époque où toutes les tribus cosaques furent incorporées à l’empire russe. Aussi long-temps que les Cosaques gardèrent une certaine indépendance, qu’ils s’allièrent, comme cela arriva souvent, avec les ennemis les plus déclarés de la Russie, les Polonais et