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« Dans cette vie comme dans l’autre, chacun de nous ne trouvera la paix et la félicité que dans la solitude. »

Au-dessus du tapis où le prêtre s’agenouille, les regards tournés du côté de la Mecque, on aperçoit trois œufs d’autruche suspendus à la voûte par des cordons de soie. Le mollah, à qui l’on demandait l’explication de ce symbole, répondit : « Quand l’autruche couve ses œufs, elle ne doit pas les perdre de vue, sinon le germe vital qu’ils renferment périt à l’instant. De même les fidèles croyans doivent sans cesse avoir les yeux fixés vers leur but, afin que leur vie ne soit pas un œuf stérile. »

En quittant les côtes de la Crimée, M. Kohl s’avance vers le Caucase. Il y a encore là, dit-il, un demi-million au moins de Tartares, en ne comptant seulement que les hommes et plusieurs princes qui prétendent descendre de Gengiskhan. La plupart sont soumis à la domination de la Russie, et leurs fils servent dans la garde impériale. Quelques-uns cependant ont conservé une certaine indépendance, entre autres Didian, prince des Mingrélies. Il a abandonné, pour une pension annuelle de vingt mille roubles, une partie de ses propriétés à la Russie ; il extorque de ce qui lui reste le plus qu’il peut, et quand ses revenus habituels ne lui suffisent plus, il a recours au pillage. Un jour on lui présente un Allemand qui portait le titre de professeur. Le prince, en entendant formuler cette qualification, demande avec colère si Klaproth n’était pas aussi professeur. — Oui, répond l’Allemand. — Ah ! pinta propesser ! s’écrie le Tartare ; c’est une misérable chose qu’un professeur ! Mon fils m’a raconté que ce Klaproh a écrit un livre où il rapporte toutes sortes de faussetés, où il dit que j’administre mal mon pays et que je vole mes sujets. Ah ! indigne professeur ! indigne professeur ! »

Ce petit prince n’est pas le seul dont les pauvres familles sans défense ne redoutent le pouvoir. Dans les montagnes voisines de ses domaines habitent les Zebeldiens, race courageuse et cruelle qui ne vit que de brigandages. Traquée par les soldats russes, elle fuit de ravin en ravin. Vaincue dans un endroit, elle va planter son étendard dans un autre. Du haut de ses pics de roc, elle brave la colère de ses ennemis, et, quand on la croit abattue par une défaite ou découragée par la fuite, elle reparaît tout à coup plus hardie, plus entreprenante que jamais. Malheur à celui qui s’est rendu envers un seul de ses membres coupable de trahison, et à celui qui tombe entre leurs mains ! M. de Maistre nous a tracé un touchant tableau des souffrances auxquelles sont condamnés les malheureux qui deviennent prisonniers dans le Caucase, et M. Kohl rapporte plusieurs faits qui pourraient servir de pendant à l’histoire dramatique du major Cascambo.

Ce que l’écrivain allemand raconte de la tribu des Osses est certainement un des récits de voyage les plus curieux qui existent. Les Osses habitent aussi le Caucase et se distinguent entre les diverses populations de cette contrée par la rudesse et l’étrangeté de leurs mœurs. Ils prétendent que leur tribu n’a jamais été mêlée à aucune autre, et font remonter en droite ligne leur origine jusqu’à un fils de Japhet, qui s’appelait Oss ; de là leur nom d’Osses. Leur