Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/76

Cette page a été validée par deux contributeurs.
72
REVUE DES DEUX MONDES.

Sur le territoire des Modéitos, l’une des plus farouches tribus de la contrée, on retrouve les couches de basalte, et la nature change encore d’aspect. Cependant tous les arbustes n’ont pas disparu, et çà et là on remarque, tantôt une agave filamenteuse, tantôt un aloès, tantôt un de ces grevias dont les fruits jaunes et rouges, de la grosseur d’un pois, contiennent un miel végétal excellent. Ce fut aussi sur ce plateau que notre voyageur tua une antilope comparable, pour les dimensions, à un beau cerf d’Europe. À la halte du soir, ce magnifique gibier fut dépecé et rôti sur un gril improvisé. Les biftecks d’antilope, préparés de cette façon, sont, au dire de M. Rochet, un mets exquis. Il faut l’en croire, sauf toutes les réserves qui accompagnent désormais les biftecks inconnus. Cette chère homérique semble d’ailleurs avoir été l’occasion d’une aventure nocturne. Les reliefs du repas attirèrent ce soir-là, en plus grand nombre que de coutume, les hyènes ou les loups-tigrés, pour adopter la dénomination du voyageur. La lune éclairait ce spectacle, et c’était le cas de faire payer à ces animaux les insomnies qu’ils avaient occasionnées depuis le commencement du voyage. M. Rochet ajusta le premier qui s’offrit à lui et le tua : il voulut aller le ramasser, mais déjà trois compagnons du mort se disputaient cette proie. Le voyageur fit feu de nouveau et ne fut pas moins heureux ; une seconde hyène tomba et alla mourir dans les broussailles, où elle fut sans doute aussi dévorée par le reste de la bande. Notre adroit chasseur désirait couronner cette lutte par un troisième succès. Il tenait en arrêt une hyène énorme que cachait un buisson touffu, lorsque l’animal, trompant sa vigilance, s’élance pour le surprendre par derrière. Le cri d’un Bédouin avertit heureusement M. Rochet ; il se retourne, tire et frappe, à trois pas de distance, la hyène, qui tomba raide morte : c’était une nuit féconde en trophées.

La caravane arriva enfin sur les bords de l’Hawache cours d’eau important qui peut passer pour la limite naturelle des états de Choa. À l’époque des grandes pluies, l’Hawache déborde et couvre le pays ; mais dans son étiage, il ne conserve pas au-delà d’un mètre de profondeur. Rien n’est plus beau que la vallée où coule cette rivière, et la magnificence du site frappe surtout comme contraste, quand on vient de traverser le triste désert du pays des Adels. L’aspect d’une végétation vigoureuse donne un avant-goût des cultures du territoire de Choa. Pour la première fois on entendit rugir le lion, et M. Rochet ne déguise pas l’impression profonde que fit sur lui ce rugissement. Les animaux de la caravane semblaient, à cette voix, agités