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ment établi entre toutes les forces contraires. L’illustre auteur des Paroles d’un croyant berce depuis long-temps son imagination solitaire de ces espérances d’âges meilleurs. Devant ces ardentes visions ont disparu et ces joies du sanctuaire où son ame s’épanchait en torrens d’amour, et cette quiétude de l’intelligence qu’une énergique conviction enchaînait à la foi, comme par une chaîne d’airain. Cependant M. de Lamennais, dans ses nombreux pamphlets politiques, paraît encore moins dominé par une systématique aperception de l’avenir que par une haine profonde contre l’organisation sociale actuelle. Sa nature est plus révolutionnaire que rénovatrice ; il paraît plus occupé de déblayer le sol que d’élever le nouvel édifice sur des bases arrêtées. Ses écrits populaires révèlent peu de prétentions au dogmatisme théorique. Le christianisme, dont l’intelligence humaine ne se dégage jamais lorsqu’elle en a été imprégnée, continue à lui fournir la plupart de ses formules morales et alimente encore sa poésie d’images et de souvenirs ; il ne déduit pas didactiquement d’un principe sacramentel les lois d’une hiérarchie nouvelle, et n’aspire pas avec Saint-Simon à une suprématie mystique ; il ne discipline pas le genre humain, avec Owen, comme une école à la Lancastre, et ne se complaît pas, à l’exemple de Fourier, dans les descriptions anticipées d’une vie commode et plantureuse.

Mais les disciples sont dispensés de la réserve commandée au maître par son génie, ses habitudes et les tendances de sa nature personnelle. Voici venir un autre homme également sorti du sanctuaire, et que nous demandons pardon à l’auteur de l’Essai sur l’indifférence de nommer après lui : il le faut cependant, pour suivre la filiation logique de certaines idées et de certaines passions et pour montrer comment l’abîme invoque l’abîme.

Celui-ci dessine d’une main plus ferme et regarde en face sans sourciller cet avenir enveloppé de tant de nuages ; il va jusqu’au fond des choses, et ne se laisse pas arrêter par un reste de respect pour ces antiques bornes de la religion, de la propriété, de la famille, du mariage ; barrières au-dessus desquelles le flot du siècle s’élève et gronde chaque jour. Écoutons, et sachons ce que l’évangile d’un apostat va révéler, aux peuples, de Dieu, de la liberté, du devoir et d’eux-mêmes.

Dieu n’est pas plus au ciel que sur la terre : Il est dans tout ce qui est, et il est tout ce qui est ; « il resplendit dans le soleil, il est suave dans l’azur du firmament, il vit dans l’air embaumé des fleurs. » Le pouvoir, c’est « la représentation terrestre de la puissance infernale ; »