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comme la plus sérieuse de la part des penseurs. Les hommes qui ne voient de la réalité que son écorce, ne s’imagineraient jamais quel chemin a fait l’esprit humain depuis un quart de siècle, et comment les élémens d’un ordre moral nouveau se montrent déjà dans une conception de la providence divine et de la vie générale du monde, plus large que celle admise aux siècles passés, dans le dogme de la perfectibilité, secondé par une profonde métaphysique, et dans le principe, de mieux en mieux compris, de la solidarité naturelle et obligatoire qui lie les hommes entre eux. De là certainement sortira l’avenir[1].

« Peuple ! s’écrie à son tour le grand écrivain qui a transporté à la souveraineté populaire la dogmatique infaillibilité dont il fit si longtemps l’apanage d’une autre puissance ; peuple, réveille-toi enfin ! Esclaves, levez-vous, rompez vos fers, ne souffrez pas que l’on dégrade plus long-temps en vous le nom d’homme ! Voudriez-vous qu’un jour, meurtris par les fers que vous leur aurez légués, vos enfans disent : Nos pères ont été plus lâches que les esclaves romains ! Parmi eux il ne s’est pas rencontré un Spartacus. Il s’en rencontrera, et plus d’un, n’en doutons pas : autrement que resterait-il qu’à jeter un peu de terre sur cette génération maudite et pourrie[2] ? »

« Ô peuple, dis-moi, qu’es-tu ? Ce que tu es ! Si j’ouvre la charte, j’y lis une solennelle déclaration de ta souveraineté : cela fut écrit après ta victoire. Si je regarde les faits, je vois qu’il n’est point, qu’il ne fut jamais de servitude égale à la tienne, car l’esclavage même ne privait l’homme que de sa liberté, le tien te prive de la vie même. Paria dans l’ordre politique, tu n’es, en dehors de cet ordre, qu’une machine à travail. Aux champs, tes maîtres te disent : « Laboure, moissonne pour nous. » Tu sais ce qu’on te dit ailleurs, tu sais ce qui te revient de tes fatigues, de tes veilles, de tes sueurs. Refoulé de toutes parts dans l’indigence et l’ignorance, décimé par les maladies qu’engendrent le froid, la faim, l’air infect des bouges où tu te retires après le labeur des jours et d’une partie de la nuit, réclames-tu quelque soulagement, on te sabre, on te fusille, ou, comme le bœuf à l’abattoir, tu tombes sous le gourdin des assommeurs payés et patentés, etc.[3]. »

  1. Urgence de la réforme électorale en présence des difficultés actuelles, par Th. Fabas, p. 13.
  2. De l’Esclavage moderne, par F. Lamennais, p. 78.
  3. Le Pays et le gouvernement, par F. Lamennais, p. 88.