Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/729

Cette page a été validée par deux contributeurs.
725
PUBLICATIONS DÉMOCRATIQUES.

La révolution de 89 abolit des formes surannées, changea la balance des intérêts, en créa de nouveaux en les divisant à l’infini : elle donna à la souveraineté législative d’autres organes et d’autres conditions, et ces résultats sont restés parce que la foi du genre humain les avoue ; mais lorsqu’elle osa toucher aux croyances qu’on disait éteintes, lorsqu’elle rêva la substitution d’une vie factice et théâtrale à la vie qu’ont puisée les peuples modernes dans le christianisme et dans la famille régénérée par lui, quand de hideux pontifes se firent les apôtres d’un culte nouveau, alors la révolution s’arrêta court : la nature reprit ses droits et fit sonner l’heure de la réaction.

Il faut cependant le reconnaître : en ces temps même où la grandeur des attentats incitait la pensée publique aux plus audacieuses expérimentations, celle-ci s’égara rarement dans le monde d’utopies vers lequel on la convie aujourd’hui à se diriger. Des hymnes à la raison, des niaiseries pastorales débitées par la théophilanthropie entre des gerbes et des fleurs, tels sont les seuls monumens des efforts tentés à l’époque révolutionnaire pour satisfaire, par des formes nouvelles, aux plus indestructibles besoins du cœur de l’homme. On n’essaya pas alors de fonder une morale nouvelle sur les bases inconnues aux générations antérieures, en faisant prévaloir l’harmonie des passions sur la sainte lutte qui engendre et entretient la sérénité de l’ame. On ne nia ni la liberté du moi humain, ni la distinction radicale du bien et du mal. On ne présentait pas alors la famille comme une institution usée, ni le mariage comme un contrat exécrable. Si Babeuf rêva l’égalité des richesses, ni lui ni aucun des démagogues conspirateurs de l’an IV ne ramenèrent jamais leurs anarchiques pensées à des formules savamment déduites et démontrées. Dans ces jours de fièvre et d’audace, aucune voix ne s’éleva pour proclamer l’égale répartition des salaires entre les artistes de génie et les ouvriers manœuvres ; et lorsque l’échafaud se dressait pour Bailly, pour Lavoisier et pour Chénier, les sauvages qui hurlaient autour de lui n’avaient pas encore appris à établir, à grand renfort de métaphysique et d’algèbre, que les savans pour d’immortelles découvertes, et les poètes pour des chefs d’œuvre, n’ont pas à réclamer, au sein d’une société bien organisée, une autre rétribution que celle des chiffonniers du carrefour et des équarisseurs de Montfaucon.

Les pamphlets les plus subversifs de l’époque révolutionnaire dépassent peut-être en cynisme, mais sont bien loin d’égaler en hardiesse réformatrice les productions que l’école avancée présente