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merciales, Londres, Liverpool, qui envoient à Alexandrie les adresses les plus flatteuses. Qui ne comprend ce que cela veut dire ? Et qu’on ne croie pas que toutes ces avances soient perdues, et que le pacha n’y réponde que par la colère et le dédain. Loin de là, il s’en accommode fort bien, et songe sérieusement à en tirer parti. Voici, par exemple, ce qu’il disait un jour au commodore Napier, et ce que celui-ci n’a pas manqué de publier : « Je ne suis pas, disait le pacha, l’ennemi de l’Angleterre, mais des ambassadeurs à Constantinople. Rien ne me fera plus de plaisir que d’ouvrir à l’Angleterre tout le commerce de l’Égypte et du Nil ; tout ce que je demande, c’est que l’Angleterre me dise ce qu’elle veut, et je le ferai. Nos intérêts sont identiques. Vous avez besoin d’un passage vers l’Inde ; moi, j’ai besoin de commercer avec vous. Dites-moi donc ce que vous désirez. Je serai trop heureux d’entrer dans vos vues, quelles qu’elles soient. Donnez-moi un peu de temps, et tout ira comme vous le désirez. »

Depuis, si l’on en croit les voyageurs, l’affection du pacha pour les Anglais n’a fait que s’accroître. Jadis il ne lisait guère que les journaux de Paris ; il les repousse maintenant, et n’a plus de goût que pour les journaux de Londres. Tous ceux qui l’entourent apprennent l’anglais, et il entretient avec les orateurs les plus populaires et les plus distingués d’actives correspondances. Il fait enfin traduire et répandre à profusion tout ce qui se dit verbalement ou par écrit sur son compte en Angleterre. Dans son intérêt, le pacha a raison. Et cependant c’est le même pacha qui, au mois de novembre 1840, accueillait avec joie et reconnaissance la note du 8 octobre et y voyait son salut. C’est le même pacha qui, vers la même époque, écrivait au gouvernement français pour lui donner pleins pouvoirs et se mettre à sa discrétion ! Ces pleins pouvoirs, au lieu de s’en servir, on les a cachés. La note du 8 octobre, au lieu de la faire respecter, on l’a abandonnée. Comment le pacha ne tournerait-il pas ses yeux et ses vues d’un tout autre côté ? « Que les cinq, ou pour mieux dire les quatre puissances, s’écriait Napier à Liverpool, accordent de bonne foi à Méhémet le gouvernement d’Égypte, et il n’y a pas un pays au monde qui puisse en profiter la moitié autant que l’Angleterre. » Dans la situation qu’on nous a faite, Napier disait vrai.

L’influence russe dominante à Constantinople, l’influence anglaise maîtresse en Syrie et à Alexandrie, voilà le partage qui s’est opéré, et que la France prévoyait il y a un an. Ce n’est pas encore un par-