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débarqua sur la plage africaine. L’aspect du paysage n’avait rien d’outrageant : jamais grève plus morne ne s’offrit au regard. Quelques huttes sur un sol blanchâtre au premier plan, et dans le lointain des monts volcaniques disposés de l’est à l’ouest en gradins dépouillés, voilà Toujourra. Du reste, peu ou point de végétation ; quelques arbustes étiolés se montraient seuls de loin en loin comme pour faire ressortir cette aridité désolante.

Toujourra obéit à un sultan qui gouverne en maître les trois cents huttes de ce village. M. Rochet fut conduit en sa présence, et eut à s’expliquer sur ses projets. Quand le sultan les connut, il éleva objections sur objections, et déclara qu’avant le retour des pluies, le chemin du pays des Adels n’était pas praticable. En effet, les sources du désert se trouvant taries, il y aurait eu de l’imprudence à s’y aventurer. Notre voyageur s’installa donc tant bien que mal dans une cabane à peine close et sous une atmosphère de 40 à 48 degrés de chaleur. Toujourra est peuplé de musulmans livrés au commerce et à la navigation des côtes : les caravanes de l’Abyssinie méridionale y viennent échanger les denrées africaines contre les produits de l’Arabie. Le principal trafic est celui des esclaves. La rade est vaste sans être sûre : cependant le fond est de bonne tenue. Aucune culture n’anime les environs, ce qui oblige les habitans à tirer les denrées de première nécessité, soit de l’intérieur de l’Afrique, soit des côtes de l’Yémen.

Les naturels de Toujourra se rapprochent moins, par leurs habitudes, de la turbulence passionnée des Arabes que de l’esprit calculateur du banian hindou. Une sobriété extrême, une économie sordide, les caractérisent. Ils ont proscrit le plaisir de la pipe comme trop coûteux, mais ils se permettent, de loin en loin, la prise de tabac. Leur générosité va parfois jusqu’à offrir quelques grains de la pincée qu’ils retiennent fortement entre les doigts, jamais jusqu’à mettre à la discrétion du prochain la bourse qui leur sert de tabatière. Leur costume, des plus simples, consiste en deux pièces d’étoffe, l’une pour se draper, l’autre pour se couvrir : ils ne se coiffent pas du turban et laissent croître leur chevelure naturellement frisée. Les femmes, qui jouissent d’une liberté inconnue dans presque tous les pays musulmans, portent de vastes blouses et nattent leurs cheveux avec un certain soin ; elles vont le visage découvert. L’intérieur des habitations offre peu de meubles : quelques vases pour recevoir le lait, des plians en osier ou en courroies de cuir que l’on nomme sevir, parfois aussi des nattes de diverses couleurs, ouvrage des femmes, enfin le