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En Suisse comme en Italie, c’est l’Autriche que nous rencontrons, c’est à l’Autriche que nous devons tenir tête. Mais dans ce pays, dont une partie notable parle notre langue, nous avons toujours cherché et souvent obtenu l’influence prédominante. C’est d’ailleurs à la première révolution française que plusieurs des cantons actuels doivent leur indépendance ; c’est à la seconde que tous les cantons doivent la chute d’une aristocratie oppressive et la conquête du droit commun. Entre la France et la Suisse il existait donc plus que jamais, depuis 1830, des liens naturels qu’il s’agissait seulement de resserrer, de sympathies toutes créées qu’il suffisait de cultiver avec quelque habileté. Le gouvernement français n’y manqua pas d’abord, et tout le monde sait qu’entre le parti de l’ancien régime, soutenu par l’Autriche, et le parti radical pur, notre diplomatie concourut à créer un parti intermédiaire à la fois libéral et conservateur, un parti qui, par ses propres forces, avait la majorité contre les deux autres et gouvernait le pays. C’est ce parti qui, à travers de grandes difficultés intérieures et extérieures, conduisit pendant six ans les affaires de la Suisse avec autant de fermeté que de prudence. C’est ce parti qui sut d’une main contenir les passions révolutionnaires des cantons radicaux, et de l’autre réprimer les tentatives contre-révolutionnaires des cantons absolutistes. C’est ce parti enfin qui, lorsque le pouvoir lui échappa, allait, en resserrant le nœud fédéral, donner à son pays une organisation plus raisonnable et plus forte.

Je suis loin de dire qu’à cette époque l’Autriche restât étrangère aux affaires helvétiques et renonçât à lutter en Suisse contre notre influence. L’Autriche, entre toutes les nations, a cette vertu de ne jamais perdre l’espoir, et de finir souvent, à force de persévérance et d’habileté, par tirer parti de ses défaites comme de ses victoires. L’Autriche continuait donc à agir, surtout dans les cantons catholiques ; mais son action, resserrée dans des bornes étroites et paralysée par les derniers échecs de l’aristocratie, ne pouvait se comparer à celle de la France. Comment se fait-il qu’aujourd’hui les rôles soient intervertis et que l’influence autrichienne en Suisse ait repris l’avantage et la prédominance ? L’histoire serait longue et douloureuse à raconter. Qu’il me suffise de dire que, par une série de fautes et de faiblesses, le gouvernement français a détaché de la France précisément ceux qui lui portaient la plus sincère affection ; qu’à la suite de ces faiblesses et de ces fautes le parti intermédiaire, le parti français, s’est à peu près dissous, et que ses débris ont été se perdre d’une part dans le parti de l’ancien régime, de l’autre dans le parti