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VOYAGE DANS L’ABYSSINIE MÉRIDIONALE.

de vingt maisons en ruines et peuplé de Cophtes, mais dont le port doit jouer un rôle dans le mouvement commercial de l’Inde vers l’Europe ; il toucha à Yambo, station des pèlerins qui se rendent à Médine, et arriva le 13 avril à Djedda, la ville la plus importante du golfe Arabique. L’activité de ce marché ne semble pas suivre une progression ascendante, et les revenus de la douane, qui, en 1831, s’étaient élevés à 450,000 talaris environ (2,100,000 francs), n’ont pas dépassé, en 1838, 260,000 talaris (1,300,000 francs). À Djedda, M. Rochet changea de bâtiment, et, après avoir mouillé à Hodeïda, entrepôt qui acquiert de l’importance, il aborda au port de Moka, où il devait séjourner pendant un mois. Toute cette ligne du littoral arabique est trop connue, elle a été trop souvent décrite pour nous arrêter long-temps : il faut se hâter d’arriver à la partie du voyage où M. Rochet marche sur son propre terrain.

Cependant il n’est pas sans intérêt de constater ici à l’aide de quels procédés les Anglais cherchent à fonder dans ces mers leur prépondérance commerciale et politique. Comme une intervention directe de leur part effraierait les chefs turcs ou arabes qui se partagent le gouvernement du pays, ils ont soin d’y envoyer, comme représentans et précurseurs, des banians hindous, race d’hommes doués au plus haut degré de l’esprit de commerce, et qui, membres d’une sorte de corporation marchande, disposent de vastes ressources et d’un immense crédit. Au moyen de tels agens, l’Angleterre s’empare des affaires de la contrée et les soumet à son influence. Ces banians, en leur qualité d’armateurs, salarient et gouvernent la population maritime, à l’aide des raïs ou capitaines qui leur sont dévoués. En même temps, des bricks de guerre promènent le pavillon anglais sur toutes ces eaux, et, quand il le faut, en imposent le respect par l’emploi de la force. C’est ainsi que nos rivaux savent, de longue main, ménager leur avénement et préparer leur domination.

Durant son séjour à Moka, M. Rochet avait pris des renseignemens sur les moyens de poursuivre son voyage. Parmi les routes qui conduisent au royaume de Choa, on lui cita celle du pays des Adels comme la plus courte, mais aussi comme la moins sûre. Des cavaranes arabes la parcouraient de temps à autre ; mais on ne citait point encore d’Européen qui eût pris cette voie. Loin de détourner notre voyageur, cette considération l’affermit dans son dessein. Il loua une barque qui allait mettre à la voile pour Toujourra, l’un des ports qui servent d’entrepôt à l’Abyssinie méridionale, franchit le célèbre détroit de Bab-el-Mandel, et, le 4 juin, après trois jours de traversée,