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les succès très réels du général Bugeaud, ce qui s’y passe en ce moment n’est pas fait pour changer mon opinion. Dans tous les cas, il faut bien reconnaître qu’avant de compter l’Algérie pour beaucoup, il convient que la conquête en soit faite, et que la France ait traversé, sans la perdre, une grande guerre maritime. Faut-il dire toute ma pensée ? je crains que, pour quelques hommes politiques, le plus grand mérite de l’Algérie ne soit de faire illusion à la France et de détourner sur une terre lointaine la passion militaire qui bouillonne toujours en elle. Je crains qu’on ne trouve commode de donner ainsi le change aux sentimens généreux du pays, et de satisfaire, sans se compromettre, son désir de puissance et de gloire. Avec l’Algérie, on a, sans autre danger que celui de perdre beaucoup d’hommes et d’argent, des combats à livrer, d’éclatans bulletins à rédiger, un vaste sol à conquérir. Sans l’Algérie, il serait possible que la France portât un peu plus souvent les yeux autour d’elle, et fût quelquefois plus agitée par le sentiment de sa déchéance. Quand quatre-vingt mille hommes sont occupés en Afrique, on ne peut d’ailleurs pas s’en servir en Europe, et c’est une raison de se montrer, du côté de la Manche et du Rhin, plus timide et plus prudent. « Il y a deux choses, disait l’été dernier lord Palmerston qui me répondent de la France. » L’Algérie en était une.

Quoi qu’il en soit, les opinions les plus contraires à l’Algérie doivent reconnaître qu’au point où en sont les choses, on ne saurait l’abandonner sans honte ; les opinions les plus favorables doivent convenir en revanche qu’à l’exception d’un petit nombre de points, l’empire est encore à conquérir, la colonie à fonder. C’est, si on le veut, une grande et belle espérance ; ce n’est rien de plus.

On n’en peut donc douter, malgré l’Algérie, la France, comme puissance territoriale, est aujourd’hui beaucoup moins forte qu’au milieu du dernier siècle. Mais la force d’un état n’est pas quelque chose d’absolu. Voyons donc, pour arriver à une juste appréciation, quelle était, au milieu du dernier siècle, la situation des autres grandes puissances européennes et ce qu’elle est aujourd’hui.

Depuis le milieu du siècle dernier, l’Autriche a perdu les Pays-Bas autrichiens, possession lointaine et précaire. Elle a gagné la Galicie, Salzbourg, une portion du Tyrol, Venise et l’état vénitien, l’Istrie, la Dalmatie, Raguse, la Valteline, un pied dans l’état du saint père, plusieurs îles de l’Adriatique, c’est-à-dire six fois plus qu’elle n’a perdu.

La Prusse a gagné le grand-duché de Posen, la Poméranie sué-