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On le voit, les parties de l’Abyssinie qui confinent à la mer Rouge n’ont pas manqué de visiteurs récens, vrais ou colorés, exacts ou pittoresques. Mais l’Abyssinie méridionale, celle qui débouche, par le pays des Adels, sur le golfe d’Aden, était bien moins fréquentée et bien moins connue. Limitée au nord par des annexes de l’empire de Gondar, au sud par les états de l’Afrique centrale, entourée sur presque tous les points d’une ceinture de tribus indépendantes, Gallas, Saumalis ou Adels, cette portion de l’Abyssinie est le siége d’un royaume important, celui de Choa, dont le souverain balance en autorité les rois ou les chefs qui règnent dans la zône supérieure du Beghemder, du Samen et du Tigré. Ni Bruce, ni ceux qui le suivirent, ne se sont avancés jusque-là. L’un des titres de MM. Combes et Tamisier est d’avoir osé y pénétrer sur les traces des Portugais ; mais, soit pour l’aller, soit pour le retour, ils ont suivi la route de Massouah et des plateaux intermédiaires, et ils n’ont pas cru devoir s’aventurer au travers du pays des Adels pour aboutir à l’un des trois ports arabes situés au sud du Bab-el-Mandel, Barbara, Zeïla et Toujourra. Cette prudence s’explique. L’opinion locale s’accordait à représenter cette voie comme impraticable, infestée de meurtriers, pleine de périls. Les tribus qui occupent cette zône sont de race danakile ou adel, nom que les Portugais ont composé des deux mots ad-ali. Il restait donc à s’assurer si cet itinéraire était aussi sombre, ces peuples aussi farouches qu’on le disait. Ce problème géographique séduisit le courage de M. Rochet d’Héricourt, qui résolut d’entrer dans le Choa par ce chemin, presque au même moment où le jeune Dufey le prenait pour en sortir. Dufey est mort en Arabie, à son retour, en ne laissant que des notes tracées à la hâte ; M. Rochet d’Héricourt a écrit un journal que nous avons sous les yeux, et qu’il compte livrer à la publicité. C’est à ce document, inédit encore, que nous empruntons les détails qui vont suivre.

Arrivé à Suez, le 25 février 1839, M. Rochet n’y séjourna que le temps nécessaire pour trouver une caïque arabe qui le conduisit à Moka. Cette navigation sur des barques non pontées n’est pas sans périls, mais elle permet de mieux saisir, de mieux reconnaître les paysages de la côte. Le passage des paquebots anglais est d’ailleurs fixé à des prix si excessifs, que beaucoup de voyageurs préfèrent les caboteurs indigènes, dont les conditions sont plus discrètes. Il en coûta à M. Rochet vingt-neuf talaris (le talari vaut 5 francs), pour aller de Suez à Moka. Les diverses échelles du littoral arabique se succédèrent bientôt sous ses yeux. Il vit El-Torra, hameau composé