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soire à tous les arrangemens faits sans la France et contre elle : voilà l’isolement tel que la chambre le comprenait, tel que le gouvernement l’acceptait, tel que le pays le voulait. C’est ce qu’un homme politique, estimé de tous les partis et d’un esprit aussi ferme que sûr appelait, l’hiver dernier, « faire le vide. »

Maintenant, qui doute que, si la France eût persisté « à faire le vide, » l’Europe ne se fût bientôt aperçue qu’on ne se passe pas d’elle impunément ? Qui doute que, pour sortir d’une situation pénible et tendue, elle ne nous eût offert, au lieu d’une place gratuite dans le char de la sainte-alliance, la concession notable qu’exigeait M. de Lamartine ? C’était là, je l’ai prouvé par de nombreuses citations, la prévision générale au début de la session. D’où vient qu’on l’a subitement oubliée, quand tout concourait à la rappeler, l’inquiétude des chancelleries allemandes comme les attaques des feuilles ministérielles de l’Angleterre, les avances de l’Autriche et de la Prusse comme la mauvaise humeur de la Russie ? N’est-ce pas la situation que les hommes politiques avaient prédite, que la nation tout entière avait espérée, et fallait-il se hâter de l’abandonner avant d’en avoir tiré parti !

En soi, la politique de l’isolement était bonne. Point de doute à cet égard. Qu’on veuille bien maintenant montrer les évènemens nouveaux qui, depuis six mois, ont pu en commander l’abandon. Il est aisé de dire que les circonstances ne sont plus les mêmes, que le terrain a changé ; mais il est moins aisé de le prouver. En Europe, tout est justement au même point qu’il y a six mois, avec cette seule différence, que les tories en Angleterre ont vaincu les whigs et s’apprêtent à les remplacer. Est-ce dans cette perspective que l’isolement a été déserté ? Quant à l’Orient, qu’y voit-on aujourd’hui ? En Égypte, une réconciliation factice et un arrangement provisoire entre un puissant vassal et son faible suzerain ; en Syrie, des populations qui se révoltent à la fois contre le gouvernement tutélaire qu’on a bien voulu leur donner et contre ceux qui, si généreusement, leur ont apporté ce gouvernement ; en Crète, une insurrection courageuse, glorieuse, et à laquelle le blâme unanime des cabinets n’ôtera pas la sympathie des ames généreuses de tous les pays et de tous les partis ; en Bulgarie, des vieillards, des femmes, des enfans qu’on dépouille et qu’on égorge ; en Macédoine, en Thessalie, des chrétiens qui veulent se joindre à leurs frères de Grèce : puis partout des intrigues russes, anglaises, autrichiennes, dont le fil échappe encore, mais dont personne ne doute. Voilà l’Orient tel que l’ont fait les quatre puissances,