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cette mer fut le siége d’un grand mouvement commercial et maritime. Les flottes de Salomon la sillonnèrent dans toutes les directions. Elles partaient d’Asiongaber pour se rendre à Ophir, pays de la poudre d’or, dans les ports sabéens, où elles recueillaient l’encens et les aromates, aux îles de Tyros et d’Arados, célèbres par leurs pêcheries de perles. Par Adulis, le golfe Arabique se mettait en communication avec Axoum et le royaume de Méroë, par Thapsacus avec le haut-Euphrate, par Ocenis, Cané et Aden avec toute la presqu’île asiatique, par Azania et Ptolémaïs avec le littoral africain. Les voiles de Juda et d’Israël franchirent même ces limites, s’il faut en croire Mannert et Heeren ; elles visitèrent les bords du Gange et les grands archipels de l’Océan indien. On sait avec quel faste la reine de Saba parcourut ces rivages, et quels riches présens encombraient ses vaisseaux. Les Pharaons et les Ptolémées ne laissèrent pas à leur tour cette mer inactive, et Arsinoë, la Suez actuelle, fut le point de départ de divers périples, qui eurent pour objet tantôt les côtes de l’Asie, tantôt celles de l’Afrique. Sous les kalyfes, ce mouvement de navigation ne s’arrêta point, et la jonction des deux mers, devant laquelle le génie moderne semble hésiter, fut réalisée, assure-t-on, par un souverain fatimite, à l’aide d’un canal qui unissait Suez au Nil. Ainsi, l’activité du bassin arabique semblait survivre aux chutes d’empires et aux révolutions de dynasties. Pour le frapper d’impuissance, il fallut que Vasco de Gama, doublant le cap des Tempêtes, ouvrit aux flottes marchandes la route maritime de l’Inde.

Voici qu’aujourd’hui, la vapeur aidant, les chances tournent de nouveau. L’isthme et les deux mers qui le baignent se couvrent de paquebots rapides. Une seconde fois les habitudes commerciales se déplacent, et un agent mécanique bouleverse la carte routière du globe. L’Europe a renoué ses communications avec l’Inde par les eaux arabiques. Les dépêches, les passagers, les marchandises précieuses ont déjà adopté cette voie ; le cap de Bonne-Espérance est condamné au service le plus vulgaire. Le vrai lien entre l’Angleterre et le Bengale est désormais l’isthme de Suez : la fortune passe de ce côté ; les plans de Leibnitz et d’Albuquerque triomphent des découvertes de Vasco. Bombay est à quarante jours de Londres, et la vie entre la métropole et sa gigantesque vassale a redoublé d’énergie avec les moyens de circulation. Le temps ne peut qu’ajouter à ce résultat. Le perfectionnement des transports, l’amélioration de la viabilité, les travaux d’art venant en aide à la nature, enfin