Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/637

Cette page a été validée par deux contributeurs.
633
WILBERFORCE, ROMILLY ET DUDLEY.

« Je me promène la moitié du jour dans une agitation extrême, et par l’impossibilité de rester en place, en pensant à tous les évènemens malheureux qui découlent d’une source d’où nous nous sommes flattés de voir sortir le bonheur du genre humain. Brûlons tous les livres, cessons de penser et de rêver au meilleur système de législation, puisque les hommes font un abus infernal de toutes les vérités et de tous les principes. Qui croirait qu’avec de si belles maximes on pût se livrer à de tels excès, et que la constitution la plus extravagante en fait de liberté paraîtrait à ces sauvages le code de la tyrannie ? Le passé est affreux ; mais ce qu’il y a de plus affreux encore, c’est qu’on ne peut rien attendre, rien espérer pour l’avenir. Nous ne verrons que déchiremens et massacres.

« Je cherche pourtant à balancer ces idées par d’autres : je sens bien que le peuple est jeté dans cet état de fièvre par l’approche des ennemis ; je me rappelle l’état de colère et de douleur frénétique où j’ai été moi-même, quand j’ai vu trois armées environner Genève pour nous soumettre à un gouvernement odieux. Je comprends que, dans une grande ville comme Paris, où tant de passions fermentent, elles ont dû s’exalter jusqu’à la fureur contre les aristocrates, qui ont attiré ces fléaux d’Autriche et de Prusse sur leur patrie ; et comme la déclaration sanguinaire de l’Attila prussien a menacé de tout mettre à feu et à sang, de faire périr dans les flammes ceux qui auraient échappé au fer, ils se seront dit à eux-mêmes qu’avant de périr, il fallait ôter aux conspirateurs la joie du triomphe. Dans le dernier accès, ils ont égorgé les prisonniers, parce qu’il s’est répandu un bruit qu’à l’approche du duc de Brunswick les prisons seraient ouvertes, et que tous les prisonniers achèteraient leur grace en servant leur roi et en se tournant contre les patriotes.

« Je reçois une lettre de Paris de l’homme le plus doux et le plus humain que je connaisse, et il paraît croire que tout ce qui est arrivé est nécessaire, que c’est le dénouement d’une conspiration, et que, sans cela, Paris était certainement livré aux troupes étrangères. C’est M. Cabanis qui m’écrit ainsi. Il n’a nul intérêt dans la révolution ; il est égaré par l’esprit de parti. Mais quand l’esprit de parti égare les hommes bons et éclairés, il faut bien qu’il ait quelque couleur spécieuse. On n’a aucun doute des trahisons de la cour. Beaucoup de feuillans qui croyaient servir la constitution sont revenus à l’assemblée, et sont les plus indignés contre le roi, parce qu’ils ont été les dupes d’un parti qui s’était servi, pour les tromper, de leur bonne foi