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WILBERFORCE, ROMILLY ET DUDLEY.

irriter M. Gibbon, et qu’il me dit qu’il n’y avait rien à répondre à des injures ? et moi j’ai ri… Oh ! je vous assure que je fais de grands progrès dans l’art de ménager les hommes.

« Au reste, mon ami, notez deux choses que me dit hier le marquis, qui a réellement beaucoup d’esprit et d’idées. La première, bien digne de remarque, c’est qu’on lit dans les Mémoires de Bellecombe, qu’un capitaine, dont il ne se rappela pas le nom, proposait, avant le milieu de ce siècle, de conquérir le Bengale avec cinq cents hommes. On le prit pour un fol. Cela met bien à leur juste mesure les brigands postérieurs qui voudraient se faire passer pour des héros, et cela prouve, ce que je pense depuis long-temps, que la révolution de l’Amérique s’est faite à Londres, et celle de l’Indoustan dans le Bengale, ex visceribus rei.

« La seconde chose porte sur une idée belle et profonde. Je voudrais, dit le marquis, que l’on questionnât les scélérats convaincus, pour les étudier en philosophes, après les avoir interrogés en magistrats pour les condamner. On gouverne les hommes, et on ne les connaît point ; on ne fait rien pour les connaître. Cette pensée m’a paru grande, vraie, et touchante.

« Un malheureux, accusé d’un crime qui peut le mener à l’échafaud, est assis sur une sellette ; on l’interroge, mais sur son crime uniquement, et, si son crime paraît établi, on l’envoie à la mort sans lui rien demander de plus. Chez nous, il se confesse à l’oreille du ministre de la religion, dans le sein duquel tous les secrets de sa vie doivent se perdre. On ne doit plus que de la pitié aux criminels même, lorsqu’ils ont entendu leur sentence de mort ; car, dès ce moment, ils ont déjà subi leur plus grande peine. Que le magistrat qui la leur a prononcée fasse succéder à ce ministère si terrible pour lui-même un ministère qui le console d’avoir été aussi sévère que la loi ; qu’en témoignant de la pitié et de la compassion aux malheureux qu’il a été obligé de condamner, il pénètre dans leurs ames, déjà déchirées par le repentir et par la douleur ; qu’il en obtienne l’aveu des fatales circonstances qui les ont égarés dans les voies du crime ! Que de lumières ! quelle nouvelle connaissance de l’homme et de la société on verra résulter de ces confessions faites aux prêtres de la loi ! Et qu’on ne croie point qu’il fût si difficile d’obtenir ces révélations de la bouche de ces infortunés. L’homme qui va mourir a bien peu de choses à dissimuler. Interrogés par des magistrats qui connaîtraient la langue que l’humanité doit parler aux malheureux, ils éprouveraient à s’entretenir des vices qui