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heureuse société ; contredanses que nous trouvions moyen d’organiser dans les plus petites chambres du monde. Je ne puis me rappeler ces jours, heureusement je puis dire ces années, sans éprouver l’émotion la plus délicieuse. J’aime à me transporter en idée dans notre petit parloir tendu de papier vert, élégamment orné de gravures de Strange, Bartolozzi et Vivarès, d’après Raphaël, les Carraches et Claude Lorrain. Je fais revivre jeunes gens et vieillards, mêlés et confondus dans cette heureuse colonie ; je les revois groupés devant le foyer ; je n’oublie pas le beau lévrier d’Italie, le chat noir et l’épagneul respectueusement étendus à nos pieds et vivant en parfaite harmonie. La porte qui s’ouvre me laisse reconnaître les visages amis des domestiques de la maison, surtout celui de la vieille nourrice qui avait si bien soigné notre mère et nous l’avait rendue en bonne santé ; aussi nous l’aimions tous ! »

Dans cet intérieur que nous avons laissé Romilly décrire avec une si touchante simplicité, d’autres personnages venaient se placer ; un ministre genevois, Roget, ami de la maison, enthousiaste sincère de Jean-Jacques Rousseau ; la fille, bonne musicienne, instruite et naïve ; un jeune commis qui avait de l’aisance, l’associé et le plénipotentiaire du joaillier plutôt que son commis. Vous vous rappelez ce beau personnage anglais d’un roman moderne, Ralph, et sa patience, et son amour, et son silence, ce silence et cet amour dont quelques critiques ont douté. Eh bien ! Greenway, le commis de Romilly père, debout devant le foyer, caressant les longues oreilles du chien de la famille, et écoutant la jeune fille qui chante, assise devant son vieux clavecin noir, c’est Ralph tout entier ; on ne sait en vérité si George Sand a vaincu la réalité, ou si la réalité s’est élevée seule au-dessus de ce magnifique talent.

Greenway avait vingt-quatre ans, sa taille était noble, son cœur haut, sa figure agréable, son caractère égal et doux, « et l’on ne pouvait s’empêcher d’admirer, dit Romilly, le désintéressement, la générosité et le sentiment d’honneur qui marquaient toutes ses actions. Après avoir demeuré long-temps avec nous, et nous avoir inspiré autant de confiance que d’estime, il hérita d’un petit patrimoine, et alla vivre dans une maison qui lui appartenait ; ses relations avec notre famille ne perdirent rien de leur intimité. Nous le recevions toujours comme un ami de cœur et un charmant convive. Il était de toutes nos parties, de toutes nos promenades, de tous nos secrets. Ma sœur, qui n’avait encore formé aucun projet d’établissement, le voyait avec