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WILBERFORCE, ROMILLY ET DUDLEY.

Claude Lorrain, beau de tous ses accidens et de toute son idéale splendeur, éclore tout à coup et illuminer l’horizon, les plaines et la forêt.

Une austérité élégiaque et une sorte de suavité triste règnent sur toute la famille protestante, occupée d’intérêts élevés et mêlée plus tard à l’aristocratie de naissance et de fortune. On est ému de respect et d’attendrissement quand on pénètre dans cet intérieur plein de calme, de dignité douce, d’activité réglée, de devoirs silencieux, accomplis avec un zèle charmant et pour ainsi dire avec une volupté méditative. Ce raffinement du beau et du bon, cette élégance d’artiste portée dans la vie privée, cette simplicité acquise et voulue, composent un caractère spécial, qui n’est pas absolument anglais, mais qui se fond et se lie admirablement aux nuances anglaises, et qui se rapporte, comme à sa source, au calvinisme adouci de Genève moderne et aux scrupules des familles françaises réfugiées. La philosophie pénétrante d’Ancillon, le labeur spirituel et minutieux de Bayle, l’esprit microscopique de Saint-Évremont, l’analyse sentimentale de Jean-Jacques, touchent par divers points à ce même génie anglo-genevois, qui n’est ni sans grandeur, ni sans grace, ni sans danger, et dont Romilly est l’une des expressions modernes les plus aimables.

Il faut l’entendre décrire ses joies domestiques. « Notre nouvelle résidence, dit-il, était située dans High-Street, sur la limite de Mary-Lebone et de Londres, qui commençait à envahir les villages voisins. À voir cette petite maison brune, ses deux fenêtres de front, sa physionomie étriquée, son petit carré de terre, anobli du titre splendide de jardin, vous eussiez conçu de ses habitans et de leurs plaisirs, comme de leur élégance, une assez misérable idée. Mais il fallait se mêler à notre famille, et y porter un cœur capable de comprendre le bonheur réel, pour apprécier celui que renfermaient ces humbles murailles. Vous y eussiez trouvé une société composée de personnes aimables, aimantes et gaies, ne désirant et ne regrettant rien, heureuses de leur vie privée et y concentrant toutes leurs jouissances, unie par la similitude des goûts, des affections, des caractères, et par les liens du sang. Vous auriez partagé, en les admirant, nos plaisirs si variés et si vifs : promenades à cheval dans les environs, au milieu de paysages délicieux ; lectures du soir en hiver, pendant que les uns dessinaient et que les autres brodaient ; festins modestes et charmans pour célébrer l’anniversaire du mariage de mon père et la naissance de chaque membre de notre