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plication de la civilisation européenne aux enfans de la race africaine, l’avenir dira si ce n’était point une tentative malheureuse et inexécutable. Ami constant de Pitt, populaire par le dogme et les penchans, tory par les amitiés et les principes politiques, il occupa souvent une position fausse et ne put se sauver qu’à force de distinctions subtiles, que l’on accusait d’être ambiguës. Homme honnête et homme dévoué, dont l’apostolat charitable et sincère mérite la vénération de l’avenir !

Il ne manquait point d’habileté ; pendant toute sa vie, il conserva l’appui de William Pitt. William Pitt n’était pas seulement un ministre, mais le défenseur de la nation : le levier de sa politique s’appuyait sur l’intérêt et sur la richesse, sur la puissance et sur la vie de la Grande-Bretagne. Il fit mouvoir ce levier avec une persévérance de calcul et une intrépidité de coup-d’œil sans égales. Fox s’armait des influences étrangères ; son parti était donc plus faible, et moins national, quoique plus populaire.

L’influence étrangère et démocratique à laquelle se rattache Romilly, celle qui se rapportait aux théories de Rousseau, Diderot, d’Alembert et d’Holbach, ne réunissait pas un très grand nombre de talens accomplis et élevés. On comptait dans ses rangs le jeune Erskine, le jeune Mackintosh, le jeune Southey, le jeune Romilly, tous séduits par la nouvelle aurore qui semblait poindre et rayonner sur l’Europe. En avant de ce groupe ardent et sans expérience marchaient Thomas Payne l’Américain, dont la convention nationale devait engloutir et éclipser la renommée, le savant Priestley, le subtil Horne Tooke, l’helléniste Parr, un des originaux les plus curieux de son temps, l’énergique Cobbett, enfin l’aimable et doux Romilly. La plupart se distinguaient par leurs ridicules ou excitaient la défiance par leur jeunesse. Le pédantisme de Parr, qui n’écrivait pas six lignes sans les orner de trois citations grecques ; sa bibliothèque de perruques pour les trente jours du mois, le nombre égal de ses pipes, et la splendeur de sa vaisselle plate, bien qu’il donnât rarement à dîner, le classaient parmi les excentriques les plus célèbres de son temps. Mackintosh, Erskine et Southey venaient de quitter les bancs ; il était permis de rire de la pantisocratie, ou du gouvernement égalitaire que ce poète enthousiaste voulait fonder en Amériques. Bentham, un des écrivains les plus détestables de ce temps, et l’une des intelligences les plus fines et les plus profondes de tous les temps, ne faisait que préluder encore aux recherches subtiles qui ont signalé sa vie. Payne se déshonorait par l’habitude de l’ivresse ;