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me semble que je suis ce clavecin : combien fréquemment faut-il m’accorder, et comme il est facile de déranger cette harmonie si difficile à établir ! Mon imagination surtout est un instrument dont je ne dispose guère. Quelquefois l’influence est bonne, et me voilà heureux ; mais bien souvent un mauvais génie prend la clé et tourne les vis : alors je souffre le martyre. C’est une confusion, une discordance, un chaos de sons effroyables, et comment y échapper ? Je ne puis me boucher les oreilles, puisque ce concert maudit est dans mon sein. »

Rien de plus éloquent que ce John Newton, le confident, le consolateur et le guide religieux de Cowper ; poète qui s’ignore lui-même, sa correspondance est remplie de traits délicieux qui attestent la tolérance véritable et la philosophie sincère de cet esprit distingué. « Envoyer des missionnaires aux îles Pélioû ! dit-il quelque part, chez un peuple si doux et si naïf ! Je désire que nos Européens laissent les Péleïens tranquilles, et que ces derniers n’aient d’autre occasion de voir nos concitoyens que pour donner, comme ils l’ont déjà fait, une hospitalité généreuse à quelques naufragés. Mais si nous nous établissons dans leurs îles avec la contagion de nos besoins, de nos vices et de nos fléaux, ils sont perdus ! » On voit que le calviniste Newton, son ami Cowper et Wilberforce touchaient sans le savoir aux doctrines de Jean-Jacques Rousseau. Voici comment Newton parle de la révolution française en 1796 : « La main de Dieu est sur le monde. Nuages et foudres s’accumulent autour de son trône ; il marche, mais nous ne le voyons pas. Ses desseins sont grands et évidens, mais ils sont obscurs. Il a envoyé devant lui ses serviteurs, qui balaient la place et font disparaître les immondices : tâche ignoble et dure que Dieu a réservée à des natures terribles ; un grand seigneur ne charge pas ses enfans de nettoyer ses écuries. L’Europe aujourd’hui n’est qu’une vaste étable d’Augias, On est à l’œuvre, et le sang coule avec la fange. Quand l’œuvre sera finie selon la volonté de Dieu, le maître leur apprendra qu’ils ont rempli ses ordres en imaginant se satisfaire eux-mêmes. »

Il avait très bien saisi et compris la situation de son ami Wilberforce : « Vous n’êtes pas, lui disait-il, le représentant du comté d’York ; vous êtes le représentant du Seigneur dans un lieu où beaucoup de gens ne le connaissent pas. » — Sous le rapport de la politique même, c’est un grand avantage que cette représentation des intérêts moraux qui préoccupent et animent une masse d’hommes. L’unique soin des intérêts matériels et la représentation matérielle