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présent incertain, est un sentiment vulgaire dans ce pays où les intelligences les moins raffinées se sentent quelquefois saisies d’un effroi sans pareil en face de leur propre existence. À mesure que les grandes destinées de cette société commerçante et colonisatrice se développaient, ce génie mélancolique, bienfaisant et pieux, ce culte triste et dévoué des bonnes pensées et des bonnes œuvres, cet ascétisme actif et mondain, cette analyse austère et incessante des vertus pratiquées ou désirées, acquéraient un caractère moins dur et moins grossier. Sous Charles II, pendant le règne de la marchande d’oranges Gwynn et de ses deux cents rivales, la Bible appartenait au peuple qui s’en nourrissait. « Comme j’accompagnais le roi, dit un seigneur de ce temps dans ses mémoires, et que sa majesté escortait à cheval la litière de la duchesse de Portsmouth, à laquelle il envoyait des baisers, je vis sur le bord de la mer, étendu dans le sable, sous le soleil, un petit berger, les pieds nus, qui lisait la Bible et qui pleurait. » Ce petit berger aux pieds nus et pleurant de tristesse en lisant Job ou Jérémie représentait le fond du peuple, cette masse active et mélancolique qui devait renverser Jacques II. À la fin du XVIIIe siècle, les larmes des gens de cour et des gens instruits coulaient sur ces mêmes pages de la Bible ; le célèbre auteur de Clarisse, Richardson, imprimeur de son état, formaliste par caractère, était casuiste par goût, et levait tous les scrupules de conscience que lui proposaient les bonnes femmes de son voisinage. À cette piété sincère et minutieuse, les Swift, les Sterne, les Goldsmith, les Sheridan, les Fielding, opposaient leurs ricanemens et leurs railleries ; mais tout le prestige du talent ne pouvait rien contre le génie national. Wesley, le méthodiste, traînait derrière lui des flots d’auditeurs pantelans et ruisselans de larmes sincères. Enfin ce mouvement religieux, se résumant dans William Wilberforce, homme éclairé, infatigable, opulent, dévoué, vint prendre place au parlement même.

Wilberforce servit donc d’expression politique et d’organe actif à tout le puritanisme anglais. Autour de lui vinrent se placer, à lui seul aboutirent comme à un centre les ames tendres, les esprits méditatifs et scrupuleux, les hommes dont la rêverie pieuse n’osait pas essayer la vie publique.

La fraction ultra-religieuse à laquelle Wilberforce, Hannah More, Wesley, Newton, appartenaient, et qui avait compté parmi ses adeptes et ses appuis Daniel de Foë, Richardson, Milton, le quaker William Penn, le bon Cowper, ressemblait sous quelques rapports à notre république janséniste. Wesley en était l’orateur populaire,