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WILBERFORCE, ROMILLY ET DUDLEY.

l’air. Il se mourait de l’impossibilité morale de vivre. Aucun malheur, aucune passion, point d’affaiblissement causé par l’excès ou du travail ou du plaisir. « Je suis, écrit-il à son ami l’évêque de Llandaff, en proie à des sentimens qui me torturent. C’est en vain que ma raison me dit que mes idées sont exagérées. Anxiété, — regret du passé, — terreur de l’avenir, — m’ont saisi comme une victime. Je redoute la solitude, je ne suis pas propre à la société, et toutes les erreurs que j’ai pu commettre dans le cours de ma vie se dressent et restent debout devant moi. Je suis honteux de ce que je ressens, lorsque je viens à penser à la prospérité dont je jouis. Mais il me semble que j’ai été tout à coup transporté dans quelque région horrible, au-delà des limites du bien-être et de la raison. » Ces lignes représentent et dépeignent avec une admirable netteté la désorganisation de cet esprit cultivé, qui se voyait périr sous sa culture même. Ceci est plus curieux encore : « J’attends W. R., qui souffre du même mal que moi. La mélancolie sombre qui pèse sur lui aussi lourdement que sur moi-même ne l’empêche pas d’être un convive très aimable. J’attends ce tête à tête avec satisfaction et plaisir. » Une première fois il échappa au démon qui le poursuivait : plus tard les attaques se renouvelèrent, et il succomba en juillet 1833, après un an de retraite forcée sous le poids d’une aliénation mentale. Ses lettres, ses discours et ses articles, que l’on recueillera sans doute, œuvres élégantes et polies, ne laisseront pas périr le nom de cet aristocrate whig.

Parmi les courans d’opinions et de pensées qu’on a presque toujours négligé d’analyser et de porter en compte lorsqu’on s’est occupé de l’histoire des peuples, nul n’était, en Angleterre, plus populaire et plus puissant, au commencement de ce siècle, que la dévotion puritaine, piété mélancolique et profonde, devenue passion et besoin pour des caractères graves ou timides, et subdivisée en mille fractions de sectes, hostiles quant au dogme, analogues quant à l’esprit. Depuis les prédications de John Knox, cette veine profonde et tragique n’avait point tari ; on l’avait retrouvée chez les partisans de la communauté (commonwealth), chez Milton, Daniel de Foë, le quaker William Penn, le chaudronnier-poète Bunyan, le courageux prédicateur Baxter, et le romancier Richardson. Nul penchant intellectuel n’avait plus de prise sur le caractère anglais, sur les masses comme sur l’homme isolé, sur les gens du monde comme sur les pauvres. La terreur de Pascal, voyant son ame suspendue entre les deux gouffres d’un passé inconnu et d’un avenir inconnu, sur le point fragile d’un