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WILBERFORCE, ROMILLY ET DUDLEY.

varié, un caractère moins actif, mais brillant d’honneur et de grace, lord Dudley, n’occupe point un aussi vaste espace dans les annales de sa patrie que Romilly et Wilberforce. On le voit apparaître en 1814 et s’affaisser en 1830 dans une langueur qui aboutit à l’insanité.

Il est impossible de comparer lord Dudley à Wilberforce et Romilly. Excellent écrivain dans un cadre étroit, ingénieux critique, orateur élégant et précis, sans fécondité et sans puissance sur les masses, d’un goût raffiné jusqu’au dédain, et d’une défiance de soi-même qui ne lui permit jamais de conduire les hommes et de gouverner, il a été singulièrement exalté par les habiles rédacteurs du Quaterly Review, dont il était un des collaborateurs les plus utiles. Ami de Canning, il le suivit dans toutes les évolutions de sa fortune, et fut créé par lui lord Dudley en 1827. Son nom était Ward, fils du troisième vicomte Dudley et Ward, nom roturier qui lui déplaisait singulièrement ; c’était une des épines de sa vie, car ce pair d’Angleterre, auquel rien n’avait manqué jamais, était parvenu à se créer d’innombrables douleurs, chimères qui tuèrent sa raison.

C’est par ce raffinement douloureux et extrême qu’il appartient à l’histoire des mœurs anglaises, non comme exception, mais comme type. En 1798, il y avait à Paddington une maison habitée exclusivement par un enfant et ses précepteurs, qui, toujours près de lui, contrôlant chacun de ses mouvemens, et soumettant à leurs doctrines la naïve liberté de sa nature, l’entouraient de latin, le berçaient de grec, et couvaient soigneusement cette intelligence fragile, comme on protège la fleur du tropique sous la serre chaude de nos jardins. On voulait faire une merveille, on fit une victime. On voulait créer un student et un gentilhomme anglais accompli, le succès couronna les efforts de ces éducateurs systématiques, tous les dangers de l’éducation publique furent évités ; mais combien ce succès fut payé cher ! L’adolescent, effrayé de tout, en proie à une hypocondrie nerveuse et permanente, habitué à la solitude silencieuse de son cabinet et de son jardin, sans cesse exposé aux doctorales injonctions de ses gouverneurs, versé dans le grec, connaissant admirablement bien les poètes et les orateurs latins, plus irritable qu’une femme nerveuse, plus énervé qu’un vieillard, plus triste qu’un malade, plus misérable qu’il eût été malheureux, reçut à la fois de son père une des plus belles fortunes de l’Angleterre et l’incapacité d’en jouir. Oxford et Édimbourg, où il termina son éducation, ne le guérirent pas ; toute cette éducation mal dirigée fit de l’héritier des Dudley un homme de lettres souffreteux et timide. Les insensés qui