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bataillons. Les acteurs véhémens et éclatans, les Pitt et les Mirabeau, les Byron et les Canning, dominent et effacent ces hommes sincères, qui ajoutent foi à leurs propres paroles et à leurs propres actes. Un mélange de faiblesse est visible chez tous les trois. La piété de l’un s’épanche en flots de larmes ; la sensibilité de l’autre brise sa vie contre un malheur qu’il ne peut vaincre ; la susceptibilité morbide du troisième détruit sa raison avant la maturité. On dirait qu’une maladie morale vit au fond de ces trois ames et de ces trois esprits d’élite, et que le mouvement auquel ils participent est trop fort pour eux ; flamme trop ardente qui dissout leur énergie. Ils ne possèdent pas une puissance égale à leur désir et une résistance égale à ce qui les entoure. Il y a une sombre liste à faire, c’est celle des victimes qu’a déjà dévorées et des hommes qu’a moissonnés cette civilisation intense de l’Angleterre : Castlereagh, Whitbread, Romilly, suicides ; Sheridan, Fox, Canning, usés avant l’âge ; et combien encore !

Dudley, Wilberforce, Romilly, représentent des idées très diverses. L’un est aristocrate whig, l’autre méthodiste tory, le dernier réformateur modéré. On juge mal une société si, ne la saisissant qu’à la surface, on néglige d’observer ces divers courans d’opinions et d’idées qui se mêlent ou qui combattent entraînés dans le lit d’une civilisation commune : phénomène curieux dans l’histoire d’Angleterre.

Depuis 1688, tout y est transaction, gêne et compromis ; mais en se gênant et en transigeant tout le monde garde sa couleur. Voici le groupe des dissidens, radicaux de l’église, celui des anglicans, presque catholiques dans leurs dogmes, celui des hommes d’état voués à l’intérêt national, celui des philantropes souvent mêlés aux puritains, car on sert volontiers les hommes quand on a besoin d’eux, celui des tories purs, propriétaires du sol et embrassant le palladium du trône. Chacun de ces bataillons a sa généalogie, ses traditions, ses colères, son histoire et ses espérances. Au lieu de l’unité dominante et souvent cruelle, mais régulière et éclairée, que le système monarchique avait établie ailleurs, tout dans l’Angleterre nouvelle est dissonance, isolement et contraste ; de ces dissonances même naît une grande harmonie.

William Wilberforce, l’ami de Pitt et le défenseur des noirs, celui dont l’éloquence pathétique triompha de toutes les haines et gagna tout les partis, fit sa première apparition dans la vie publique en l’année 1785. Il mourut en 1833, laissant un nom vénéré. La carrière de sir Samuel Romilly fut parallèle à celle de Wilberforce ; il débuta en 1790, et mourut en 1818. Un esprit moins solide, mais élégant et