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WILBERFORCE, ROMILLY ET DUDLEY.

de la politique ; mais le feu et la fumée les environnent et quelquefois les souillent, l’engrenage les emporte et les anéantit. Au milieu d’une civilisation aussi brûlante et aussi active que le fut celle de l’Angleterre entre les années 1780 et 1815, il faut voir ces délicates vertus et ces intelligences exquises jouer leur rôle, prendre leur place et marquer leur passage.

Ils ne défendent rien de matériel et de lucratif ; ils représentent l’idéal au milieu de cette société commerciale, qui non-seulement leur pardonne, mais les aime, les pleure et les consacre. J’habitais Londres en 1818, lorsque Romilly mourut. Quel deuil universel ! quelle tristesse incroyable ! et combien je fus frappé de ce sentiment uniforme ! On répétait cette nouvelle dans les boutiques, dans les rues et dans les passages ; les commis et les facteurs s’arrêtaient pour en parler ; les boutiques se fermaient ; les bals, les fêtes, les représentations, étaient suspendus ; on renonçait à un jour de gain, et les marchands voulaient rendre hommage à cet homme très simple, d’une médiocre fortune, et qui n’avait point flatté le peuple : tant, dans le trouble et la corruption d’une capitale de négoce, le sentiment et le regret de la perfection morale étaient restés profondément gravés au sein de la conscience générale ! Pitt, Sheridan, Byron, Walter Scott, quand ils disparurent, ne produisirent pas cet effet religieux.

Les lettres et les mémoires particuliers de ces trois personnages viennent d’être publiés à Londres. Documens souvent fastidieux, ne les soumettez pas à une austère critique, ne leur demandez pas la richesse de la pensée, l’ordre des argumens, la facilité ou la grace, l’énergie ou la beauté de la diction. Ce sont des fragmens autobiographiques qui éclairent une large portion des annales anglaises, pendant l’époque la plus importante et la plus dramatique ; et l’on sait que l’histoire ne commence à se révéler qu’au moment où les correspondances secrètes s’impriment. Ces mémoires, remplis de matériaux divers, souvent confus ou peu intéressans, sont les pierres d’attente de l’histoire. Un coin du voile se soulève. Trois hommes, Wilberforce, pieux jusqu’à la mysticité, apôtre de l’émancipation des noirs ; sir Samuel Romilly, réformateur modéré et persévérant, philantrope sagace, ami du progrès et de la conservation ; lord Dudley, né Ward, ami de Canning, pair libéral, grand seigneur et journaliste, se montrent tout entiers dans ces volumes ; non-seulement on juge leurs actions et leurs écrits, mais ils apparaissent entourés de leurs groupes respectifs et portant le drapeau de leurs