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LES GAULOIS EN ASIE.

restées dans un statu quo mortel qui n’a profité à personne. Ce qui arrêta Ibrahim, ce n’est ni l’armée russe, ni une convention de Kutayah qui ne fut jamais signée ; ce qui l’arrêta, c’est qu’il finit par se demander où il allait. Il était arrivé là sans but, et le jour où il ne trouva plus de résistance, il n’eut plus qu’à retourner sur ses pas. Cette indécision a perdu les deux états.

Maintenant, pour améliorer le sort de ces malheureux peuples, il faudrait dans le gouvernement turc probité et intelligence de sa véritable position. Une comédie comme celle de Ghul-hané n’est plus de saison. Tant que les gouverneurs se montreront comme des forbans qui ne passent dans une province que pour pressurer les habitans, la révolte couvera toujours sous l’oppression, et les habitans commencent à comprendre qu’un gouvernement européen, quelque mauvais qu’il soit, est toujours préférable à un état d’anarchie et de pillage. La question de propriété ne saurait être trop tôt abordée par les puissances protectrices, de concert avec le divan. En appelant en Asie mineure l’industrie étrangère, en ouvrant à l’agriculture des moyens de prospérité et des capitaux dont elle manque, on changerait en peu d’années tout l’aspect du pays. Les habitans sont d’un commerce facile, d’un caractère doux, et ne manquent pas d’intelligence ; c’est dans les chefs de la nation que l’on trouve cette avidité funeste aux meilleures causes. La réforme de la vénalité des charges, question difficile et qui exige dans le gouvernement turc tout le courage de la probité, telle serait, avec l’organisation de la propriété, la base sur laquelle on devrait asseoir le nouvel état de choses, sans quoi la Turquie n’a que deux chances ouvertes devant elle : ou une dissolution intérieure déjà imminente, ou un partage qui n’est suspendu que par les rivalités des puissances européennes.


Charles Texier.