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européennes des débouchés pour la population qui voudrait s’expatrier ? Cette pacifique intervention vaudrait bien les canonnades de Saint-Jean-d’Acre et profiterait au moins à l’humanité.

Jamais les gouvernemens d’Europe ne se sont occupés de la question de propriété pour les étrangers en Turquie. Il faudrait que, par un acte additionnel aux capitulations, les étrangers fussent admis à posséder aux mêmes titres que les musulmans, afin que le négociant chrétien pût venir avec sécurité former des établissemens stables, et qu’il n’en fût pas réduit à une industrie foraine qui ravale les Européens aux yeux des Turcs. Le jour où le bon sens du gouvernement turc, guidé par de sages conseils, aura voulu que la propriété soit une chose sainte et respectée, alors les Européens porteront dans ces beaux pays leur industrie et leur expérience ; les rayas, qui ne demandent qu’à s’instruire, se formeront bientôt à une école de manufacturiers qui puiseraient à pleines mains la richesse dans cet Orient aujourd’hui si désolé.

Depuis tantôt vingt ans que les puissances de l’Europe se mêlent plus directement des affaires de la Turquie, elles n’en sont arrivées qu’à la rendre plus malheureuse qu’elle n’était dans ce qu’on appelait son état de barbarie ; elles ont donné à ce peuple, que sa religion et sa politique à l’égard des rayas ont toujours poussé dans une fausse voie, mais qui ne manque pas de bon sens, le spectacle le plus déplorable de luttes sans portée et de basses jalousies ; elles ont ajouté aux désordres naturels d’une administration ignorante les désordres extérieurs, l’intrigue et la corruption fomentées par les étrangers. La France a fait de vains efforts pour arrêter le mal, la plaie est devenue presque incurable aujourd’hui. Il y a un fait majeur consacré par le traité du 13 juillet ; ce n’est pas seulement la clôture du Bosphore reconnue par l’Europe ; en réalité, la Turquie se trouve par le fait seul de ce traité placée sous la tutelle des puissances signataires. Quand l’empire ottoman jouissait encore de la plénitude de sa force, il n’avait pas besoin du consentement des nations étrangères pour exercer son libre arbitre ; il ouvrait ou fermait ses détroits selon des circonstances dont il était le seul juge. Aujourd’hui il doit rendre compte à l’Europe entière des actes les plus importans de sa politique. Mais puisque l’intégrité des états du sultan est garantie par ce même traité, il serait dans l’intérêt de la paix générale, dans l’intérêt de la Porte et dans celui du commerce européen, de rendre un peu de vie aux ressorts de cette société. L’intervention protectrice de l’Europe, si ce mot peut être employé dans les circonstances