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Porte, tout en défendant les rapines, met souvent à la charge des pachas des frais de travaux, d’équipement de troupes, ou de nourriture d’armées, qui empêcheraient d’être honnête l’administrateur qui aurait les meilleures intentions. Cela vient de ce que, dans ce pays, où les habitudes ont tant de peine à s’établir et à s’en aller, il reste encore une espèce de souvenir du temps où l’Asie mineure était entre les mains de riches timariots ou princes féodaux, propriétaires de provinces par droit de conquête et par donation des anciens sultans. Ils payaient comme redevance un certain nombre de bourses, et envoyaient à la Porte le nombre d’hommes d’armes réglé d’après l’étendue de leur ziamet. Aujourd’hui, c’est seulement dans les montagnes du Kurdistan et dans quelques défilés du Taurus que l’on retrouve de ces princes nommés déré-bey, ou beys des vallées. Le sultan Mahmoud a facilement soumis ceux qui gouvernaient les provinces voisines de Constantinople, et les descendans de Kara-Osman-Oglou, qui du temps de M. de Choiseul avaient encore tout l’entourage de princes souverains, ne sont plus aujourd’hui que de simples gouverneurs qui reçoivent chaque année, le jour du baïram, le renouvellement de leur firman d’investiture.

Le sultan Mahmoud, en détruisant les déré-bey dans la Turquie d’Asie, préméditait depuis long-temps l’anéantissement des janissaires, dont les grands timariots étaient les plus fermes soutiens ; son but était de donner plus d’unité à son gouvernement pour accomplir ces réformes qui ont fait la pensée de sa vie. Il demandait à l’Europe des lumières et des conseils ; mais ses bonnes intentions étaient paralysées par les intrigues étrangères et par la force d’inertie du divan. Vainement le sultan accueillait-il avec distinction les hommes qui lui apportaient quelque plan d’amélioration ; les meilleurs projets étaient abandonnés au milieu de leur exécution ; peu à peu la pensée de Mahmoud se trouvait détournée des affaires qu’il paraissait avoir le plus à cœur, et du moment où l’œil vigilant du sultan n’était plus là pour soutenir le travail et l’activité, il n’était pas d’entreprise si utile qui résistât à un pareil abandon. C’est ainsi qu’on vit en peu d’année des écoles militaires, des écoles de chirurgie, des systèmes d’organisation administrative, des projets de défense, accueillis avec enthousiasme et abandonnés avec une incurie aveugle.

On a parlé à satiété de la régénération de l’empire ottoman, on a abordé bien des sujets, excepté le plus important de tous. Si les puissances européennes eussent voulu sincèrement le développement