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EUSTACHE LESUEUR.

le feu intérieur de la foi. Enfin, n’oublions pas que c’est à cette même époque qu’il peignit son Martyre de saint Gervais et de saint Protais, cette grande composition historique, où les têtes sublimes des deux jeunes saints font oublier ce qu’il y a peut-être d’un peu conventionnel dans le reste du tableau.

Tant de fatigues, tant d’efforts, épuisèrent ce qui lui restait de vie ; le chagrin acheva de l’accabler. Il eut la douleur de voir mourir sa femme, et cette perte le jeta dans un tel abattement, qu’il ne se sentit jamais le courage d’achever son dernier plafond à l’hôtel Lambert. Il ne toucha plus ses pinceaux que pour ébaucher un autre trait de la vie de saint Gervais et de saint Protais, qui devait faire pendant à son grand tableau. Mais bientôt ses forces l’abandonnèrent, il fut saisi du sentiment de sa fin prochaine, et sa ferveur religieuse lui fit chercher un asile chez les chartreux : il les avait émerveillés par ses œuvres, il venait les édifier par sa mort. Ce fut dans les bras du prieur qu’il rendit l’ame, vers les premiers jours de mai 1655 : il entrait dans sa trente-huitième année.

Lesueur était du nombre de ces hommes dont la mort prématurée est en quelque sorte écrite au front de leur génie. Il y a dans presque toutes ses œuvres, comme dans celles de Raphaël, comme dans les accords de Mozart, je ne sais quelle teinte mélancolique qui semble un lugubre avertissement. Il avait sans doute assez vécu pour rester immortel parmi les hommes, pas assez pour avoir joui de sa gloire. Ses plus belles journées furent des demi-triomphes ; ceux qui le louèrent le plus ne le comprenaient qu’à moitié ; et comment d’intimes souffrances n’auraient-elles pas quelquefois attristé son cœur d’artiste, quand on pense qu’il mourut sans avoir jamais reçu, je ne dis pas de son roi (il était si jeune), mais de la cour, la moindre faveur, on pourrait presque dire le moindre travail ? Trois figures allégoriques dont on lui demanda par hasard le dessin, voilà l’aumône royale que reçut ce grand peintre. Il mourut regretté comme homme de bien, estimé comme artiste, mais à peu près au même titre que ses onze confrères d’Académie ; et le jour où son génie fut enlevé aux arts, personne dans tout le royaume ne mesura la perte que venait de faire la France.

Lebrun seul peut-être en avait le sentiment. Le bruit courut alors qu’étant venu par bienséance rendre les derniers devoirs à son ancien condisciple, il avait dit en s’en allant que la mort venait de lui ôter