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peintures de Lebrun ; et ce fut dans le Cabinet des Muses, dans le Salon de l’Amour, dans la Salle des Bains, qu’on se porta de préférence, parce que les yeux et l’esprit s’y trouvaient doucement attirés. Il est probable que Lebrun se repentit alors de n’avoir pas voulu tout peindre, surtout si, comme on le rapporte, il eut la mortification d’entendre le nonce du pape, qui visitait l’hôtel Lambert, dire en passant de la galerie d’Hercule dans le salon des Muses : « À la bonne heure ! voilà qui est d’un maître, le reste est una coglioneria ». Ce mot n’est guère vraisemblable ; mais ce qui paraît mériter plus de foi, c’est que Lebrun, après avoir fait au nonce les honneurs de sa galerie, se mit à doubler le pas en traversant les pièces peintes par Lesueur, et que le nonce, l’arrêtant, lui dit : « Pas si vite, je vous prie, car voici de bien belles peintures. »

L’exécution de ces peintures avait demandé à Lesueur trois années d’un travail d’autant plus fatigant, que, tout en se livrant à d’opiniâtres études pour donner à son pinceau cette direction nouvelle, il avait dû terminer plusieurs tableaux de piété promis par lui à l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, à l’église de Saint-Gervais, à l’abbaye de Marmoutier. Ne consultant pas ses forces, se livrant sans mesure à sa passion immodérée pour son art, il passait les nuits à dessiner, les journées entières à peindre, et ce qui l’encourageait à dévorer ainsi sa vie, c’est que son talent semblait gagner tout ce que perdait sa santé. Ces tableaux, composés au milieu de l’agitation et de la fièvre du travail, sont assurément ses chefs-d’œuvre ; c’est cette Messe miraculeuse de saint Martin, esquisse qui est elle-même un miracle, et qui semble éclairée par je ne sais quels rayons divins tombant de cette hostie lumineuse ; c’est l’Apparition de sainte Scholastique à saint Benoît, angélique tableau où la vie du ciel nous semble révélée sous les traits de cette sainte dont le geste modeste et la physionomie virginale n’ont pu être conçus que par une sorte de vision du génie ; c’est encore ce Jésus traînant sa croix devant sainte Véronique, avec une si sublime humilité, et cette admirable Descente de Croix, qui parmi les mille et mille tableaux de tous les temps et de tous les pays, que cette sainte page de l’Écriture a inspirés, se distingue par un caractère si particulier d’onction, de tendresse et d’ascétique douleur. Où trouver une émotion plus vraie, un désespoir plus déchirant ? Et cependant quelle douce pureté, surtout dans ces figures de femmes ! quel calme dans leurs draperies, quelle simplicité de moyens pour un si grand effet ! C’est la suavité de contours d’un bas-relief antique vivifiée par