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cet homme de Molière. De politesse en politesse, de concession en concession, on en vient à louer publiquement des choses qu’on sait au fond être méchantes et de nulle valeur. Le premier qui nous aborde est Shakespeare, Goethe, Voltaire, Mozart, comme cela se trouve ; nous commençons par le lui dire, nous le signerons au besoin. Vous êtes poète, monsieur, et vous avez une lyre dans le cœur. Vous êtes poète, madame, allez votre chemin sans vous embarrasser des suffrages de la multitude ; que vous importe le sou verde-grisé, à vous qui avez le sequin d’or ? Et les noms les plus graves de la littérature contemporaine, les plus beaux noms poétiques, se lisent au bas de ces extravagans diplômes auxquels nulle publicité ne manque, publicité d’annonce et de préface ; car les malheureux à qui ces belles choses s’adressent n’ont garde de se les tenir pour dites ; comme on faisait autrefois d’une lettre : il faut qu’ils les exploitent, qu’ils s’en servent jusqu’à ce qu’un beau jour, déçus dans leurs espérances les plus vives, et convaincus un peu tard qu’en dehors du talent personnel nulle recommandation ne vaut, ils changent de carrière ou s’en aillent expier à l’hôpital leur désastreux entêtement. Je ne sais, mais il me semble qu’au grand siècle, au temps de Racine, de Molière et de Bossuet, les choses se passaient avec plus de gravité et de convenance.

On reprochera sans doute un jour aux deux Deschamps d’avoir donné en plein dans cette bienveillance banale, dans ce faux enthousiasme qui lui-même n’a jamais su se prendre au sérieux. En ce sens, les deux Deschamps, Émile surtout, ont pu exercer une influence fâcheuse dans un certain cercle, cercle beaucoup moins rétréci qu’on ne croirait d’abord, et que des relations de poète et d’homme du monde ont sans cesse étendu. Nous ne prétendons pas dire ici que M. Émile Deschamps ait inventé cette louange à tout venant, abeille de salon qui bourdonne l’éloge sur un mode infatigable et monotone ; de tout temps il s’est rencontré d’ingénieux esprits, d’habiles diplomates littéraires, qui spéculent un peu sur la vanité d’autrui pour leur compte, et n’ont garde d’ignorer que notre amour-propre, à tous tant que nous sommes, est une sorte de Memnon retentissant, de métal sonore, et qui ne manque jamais de répondre à quelque habile percussion par d’agréables musiques. L’auteur des Études n’a fait, après tout, que vulgariser les habitudes de la Muse française, dont il est aujourd’hui, après la ruine du temple et la dispersion des apôtres par tous les coins du globe, dont il est, disons-nous, comme la tradition vivante. Coryphée du groupe romantique,