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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

ment M. Antoni Deschamps a pu ciseler ces charmantes strophes, et si l’adoration qu’il voue à Pétrarque, son autre maître, n’a point fait là son plus gentil miracle.

La seconde partie du volume est consacrée tout entière aux souffrances du poète, souffrances terribles cette fois et qui n’ont rien de commun avec les élégiaque douleurs dont s’affligent à plaisir les muses désœuvrées. À ces cris d’angoisse et de misère, à cette plainte lamentable, à ces sansglots poussés du fond de l’ame, comment se méprendre, comment douter encore après de pareils vers ?

Or, tandis que cela se passait sur la terre,
Dieu disait dans le ciel, retenant son tonnerre :
« Ô toi qui te vantais de n’avoir pas souffert,
J’étendrai sur tes reins une verge de fer,
Et je te frapperai d’une plaie incurable,
À te faire envier le dernier misérable. »

Lasciate ogni speranza voi ch’entrate ; ces mots inscrits sur la porte d’airain de l’Inferno pourraient servir d’épigraphe à ce livre. Laissez toute espérance, car vous ne sauriez imaginer rien de plus affreux et de plus morne. C’est la souffrance dans toute son horrible crudité, c’est la plaie humaine mise à nu, c’est le cri de Job sur son fumier.

Sous la douche de glace et le moxa de feu,
Je te proclamerai, Seigneur, le juste Dieu,
Toi qui sus par le feu purifier Élie,
Et qui voulus par l’eau baptiser ton Messie.

Cette lecture vous oppresse et vous suffoque, vous avez hâte de sortir de cette atmosphère fatale, et pourtant vous avancez toujours, vous visitez jusque dans ses recoins cette lugubre infirmerie, tant le sentiment vrai du poète vous domine, tant cette douleur profonde fait peser sur vous sa main de plomb. « Je suis homme, et veux que rien d’humain ne me reste étranger ; » avec cette parole, on va loin, on va jusqu’au bout de ce singulier livre. Terrible voyage, je vous jure ! Et cela se prolonge ainsi près de deux cents pages, à travers la maladie, le désespoir et la mort ; désert aride où vous trouvez, pour toute digression à la sombre pensée de l’auteur, çà et là, des fragmens traduits du livre de Job et le Dies iræ liturgique, teste David cum sibyllâ. Je me trompe : de loin en loin, on rencontre quelques vers d’une inspiration calme et douce, véritable oasis au milieu d’un Zahara d’afflictions. Je citerai dans ce genre, pag. 114 :

J’allais frais et léger au village voisin,
Un dimanche, au moment de l’office divin,