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bien-venues dans la patrie du gai-savoir. Heureux homme, heureux poète, dont le nom illustré dans l’action, trouve encore moyen d’emprunter à la réaction un peu d’éclat et de nouveauté !


Les mêmes influences qui agirent sur l’individualité de M. Émile Deschamps, déterminèrent le caractère poétique de son frère Antoni, qu’un accident funeste devait enlever bientôt aux militantes évolutions de cette poésie d’école, aux douces et faciles voluptés du cénacle, pour l’isoler en lui et le tenir à l’écart, sans cesse absorbé dans la douloureuse pensée de son mal. Si M. Émile Deschamps devint romantique par occasion, son frère Antoni, on peut le dire, fut poète par hasard. Nous doutons que, sans les circonstances, M. Antoni Deschamps eût jamais rimé. Dilettante passionné, enthousiaste fougueux de Mozart, de Rossini, de Cimarosa surtout, le mouvement littéraire de 1823 vint le prendre au foyer du Théâtre-Italien, et c’est en fredonnant quelque motif du Matrimonio ou de Don Juan, qu’il écrivit son premier vers. En entrant dans les rangs du romantisme, M. Antoni Deschamps voulut payer de prime abord sa dette à l’Italie, et dépenser à la gloire de cette divine contrée l’exaltation où l’avait mis tant d’enivrante mélodie. Il alla, par des courans tout naturels, de Cimarosa à Pétrarque, de Rossini à Dante, au vieil Alighieri qu’il voulut traduire et qui le consuma ; terrible rencontre où le maître terrassa le disciple, et le laissa pour mort sur le carreau avant qu’il eût conduit sa tâche seulement à moitié, comme, dans ces visions du sanctuaire antique, lorsque le dieu se révélait à la pythie. M. Antoni Deschamps sortit pâle de cette entrevue ; de là cette fièvre qui l’a miné pendant dix ans, qui le travaille encore aujourd’hui. M. Antoni Deschamps aima Dante pour avoir aimé Cimarosa ; il fit des vers pour avoir aimé Dante, et, de dilettantisme en dilettantisme, la poésie lui monta au cerveau et l’enivra. L’Italie, Dante, sa maladie, tel est, si je ne me trompe le thème éternel des méditations de M. Antoni Deschamps ; telles sont les trois cordes de sa lyre, cordes d’or, d’argent et d’airain qu’il fait vibrer sans relâche.

On doit regretter que M. Antoni Deschamps ne se soit pas trouvé en mesure de mener plus avant, sinon de compléter sa traduction de Dante. Les fragmens qu’il a donnés indiquaient chez lui une aptitude rare à ce genre de travail. Si le texte n’est pas toujours bien rigoureusement exprimé dans ses vers, si l’interprétation littérale pèche en maint endroit, du moins peut-on avancer que M. Antoni Deschamps a su racheter ces défauts par des qualités d’un ordre supé-