Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/552

Cette page a été validée par deux contributeurs.
548
REVUE DES DEUX MONDES.

Chemin faisant, plus d’un se sépara de la bannière, plus d’une individualité sortit du groupe, M. Hugo, M. de Vigny, M. Sainte-Beuve, et d’autres moins illustres. Quant à M. de Lamartine, c’est un de ses priviléges de ne jamais trop s’être trouvé mêlé aux pléiades. Les commencemens du poète des Méditations n’ont rien de cette notoriété militante qui distingue M. Hugo, par exemple : il chante avant d’avoir parlé ; on entend les accords de sa harpe éolienne avant de rien savoir de ses doctrines et de sa personne. Je ne sais quoi de vague et de mystérieux l’entoure à son origine comme ces héros des premiers temps de l’Étrurie, puis tout à coup il se détache seul du nuage qui l’apporta. — Plus tard vient le Globe, association plus sérieuse cette fois. Alors commence la véritable étude des littératures étrangères ; on s’informe de Herder, de Schelling, de Goethe, de l’Allemagne enfin, et l’esprit philosophique se fait jour, et remplace un moment le vide chevaleresque, le lyrisme puéril de la Muse française.

Le mouvement littéraire de la restauration n’eut pas de champion plus fougueux, de plus hardi, de plus intrépide sectaire que M. Émile Deschamps. À toute heure sur la brèche, il enflammait l’ardeur de ses jeunes séides, prêchait la conversion aux indifférens, et combattait corps à corps avec les antagonistes des théories nouvelles. Payant à la fois de son esprit et de sa personne, élevant autel contre autel, il opposait par des traductions, plus ingénieuses que fidèles sans doute, mais loyalement entreprises, les chefs-d’œuvre vivaces du génie étranger aux avortemens d’une génération décrépite. C’est à cette époque, de 1820 à 1828, que l’action littéraire de M. Émile Deschamps éclate dans toute sa force, c’est là qu’il faut aller le prendre si l’on veut avoir aujourd’hui le secret d’une renommée encore assez populaire, et que son œuvre à elle seule n’expliquerait pas bien nettement peut-être. Il y a dans M. Émile Deschamps de l’homme d’école et du poète ; il y a aussi de l’homme du monde, ce qui ne gâte rien, même en fait de renommée littéraire. Aujourd’hui les hauts faits du romantisme sont oubliés, et le sectaire, en disparaissant, a laissé au poète sa part de publicité ; les vers ont hérité du petit scandale ; quoi de plus naturel et de plus juste ? Le nom de M. Émile Deschamps se trouve inséparablement lié à l’histoire littéraire de cette période, empruntant des circonstances même une signification originale, et qui le sauverait au besoin de l’oubli. Alors paraissaient pour la première fois dans notre langue les Romanceros espagnols, la Fiancée de Corinthe de Goethe, la Cloche de Schiller ; alors s’élaboraient la traduction de