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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

avait pris ses mesures d’avance en se distribuant les rôles de son mieux : celui-ci s’était adjugé l’élégie et la ballade, celui-là le poème et la tragédie ; tel avait pris en possession le Romancero et la couleur espagnole, tel autre dans les vers légers et les bouts-rimés ne connaissant pas de maître. Ensuite, dans l’occasion, chacun s’érigeait en critique ; on célébrait à tour de rôle la gloire et le génie de son confrère, qui le lendemain vous rendait la pareille. Et de la sorte rien ne manquait au triomphe : le bataillon sacré marchait à l’avenir tambour battant, enseignes déployées, provoquant çà et là quelques répugnances, quelques haines, mais soutenu par les acclamations de la jeunesse entière. Au sortir de cette désolante littérature impériale, après ce terrible coup de tonnerre qui suivit la chute de Napoléon et dont l’univers fut ébranlé, une école nouvelle élevant la voix au nom des belles lettres devait être écoutée et soulevait partout des sympathie : dans la jeunesse, parce qu’elle venait lui prêcher les idées et la forme, le retour vers les sources éternelles du vrai et du beau, vers la nature et le sentiment, et de ces choses-là on ne parle jamais vainement à la jeunesse ; dans la royauté, parce que, même au point de vue de la politique, ce mouvement littéraire était un hasard heureux, une bonne rencontre, un dérivatif tout puissant. Il y avait dans ces querelles, à propos de Shakespeare et de Racine, de quoi dévorer l’effervescence des esprits tumultueux ; et d’ailleurs l’espérance, la foi, l’amour, le culte des auteurs et des ancêtres, tous les dogmes de la religion et de la monarchie, n’étaient-ils pas au fond des doctrines nouvelles ?

Aujourd’hui, quand nous parcourons à vingt ans de distance ces journaux et ces recueils où l’on se dispensait l’éloge avec une libéralité si fastueuse, quand nous nous reportons au milieu de cette petite église moitié boudoir, moitié sanctuaire, boudoir par les femmes jeunes et belles qui s’y rattachaient non sans quelque pasison, sanctuaire par l’encens qu’on y brûlait, par la pompe toute pontificale qu’on mettait à s’adorer les uns les autres ; quand nous voyons M. Guiraud encenser gravement M. de Rességuier, il faut bien l’avouer, tous ces manéges nous semblent ridicules, et nous nous demandons comment tant d’aruspices pouvaient se regarder sans rire. Cependant il convient aussi de faire la part des circonstances et de l’époque. Il s’agissait en ce temps de s’organiser ; on obéissait à cette loi fatale de la végétation et de la vie qui pousse à l’épanouissement ce qu’elle veut dissoudre. Il s’agissait de se mettre en campagne, de marcher à l’avenir, comme nous le disions tout à l’heure.