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Cette nouvelle institution ne faisait que consacrer un fait depuis long-temps accompli, la ruine et la disparition de nos anciennes écoles provinciales. L’Académie se constituait leur héritière unique, et rendait à jamais impossible leur résurrection. C’était un principe de mort pour l’art, car il ne fleurit qu’en liberté : il faut qu’il puisse être cultivé simultanément sous des influences et par des méthodes diverses non-seulement parce que la rivalité est un stimulant nécessaire, mais parce que tout est plus ou moins exclusif et incomplet dans les œuvres des hommes, et que le seul moyen pour que le beau nous apparaisse sous toutes ses faces, c’est de laisser ceux qui le cherchent nous le montrer sous des points de vue différens. La création de l’Académie, c’était la consécration d’un moule unique où devaient aller se fondre les idées d’art sur toute la surface du royaume : c’était un instrument puissant comme toute centralisation, mais un instrument d’uniformité et de monotonie. Il semblait qu’on le préparât à l’usage de Louis XIV ; et ce qu’il y a de remarquable, c’est que celui qui était destiné à s’en servir sous l’autorité de ce monarque, Charles Lebrun, fut alors le principal et le plus ardent promoteur de cette création. Bien qu’il fût en Italie depuis près de six ans, comme on connaissait son crédit sur l’esprit du chancelier, ce fut à lui que s’adressèrent ses confrères de Paris pour obtenir la présentation et l’homologation de l’arrêt qui devait constituer la compagnie. Lebrun accomplit cette tâche avec un zèle et une ardeur qui ressemblaient à de la prescience.

Pour reconnaître le service qu’il venait de rendre, on l’admit, malgré son absence et sa jeunesse, à prendre rang parmi les anciens. Il est vrai que, même avant son départ, il s’était fait connaître par de brillans débuts, et que, pendant ses voyages, il n’avait pas négligé d’envoyer de temps en temps à Paris quelques tableaux dont la manière noble et solennelle avait eu le plus grand succès. Son admission à l’Académie lui fit abréger son séjour en Italie ; il négligea Venise, et revint en toute hâte pour répondre à l’honneur qu’il avait reçu. Peut-être le désir de siéger plus tôt parmi ses confrères n’était-il point le seul motif qui lui faisait hâter le pas : le cloître des chartreux excitait ses secrètes inquiétudes ; il voulait voir par ses yeux, et ne pas laisser grandir en son absence une rivalité dont il connaissait les dangers.

La lutte entre ces deux hommes ne datait pas d’un jour. Elle avait pris naissance dès leur rencontre dans l’atelier de Vouet. C’était chez