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que l’honneur national s’il peut se résigner à de tels affronts. M. de Bonald, qui pourtant aime son pays à sa manière, n’hésite pas ; tout le monde se rappelle sans doute qu’un jour qu’on attaquait les Suisses dans la chambre, il dit à la tribune qu’il eût été à désirer que ceux qui reprochaient à ces régimens de n’être pas français eussent toujours été eux-mêmes aussi bons Français que les Suisses, qui s’étaient fait tuer aux pieds du roi. La chambre le rappela à l’ordre. Mais on peut dire que ce n’est pas seulement d’une troupe de mercenaires suisses ou écossais que M. de Bonald voulait entourer son roi. Il lui créait dans le peuple même un autre peuple moins nombreux, peuple de privilégiés, tirant son droit de la même source que le roi, et ayant par conséquent tous ses intérêts communs avec lui ; c’est la noblesse. M. de Bonald déclare, il est vrai, que, si la noblesse a des priviléges, ces priviléges ne sont qu’une augmentation de devoir, et que l’homme constitué en dignité n’est que le serviteur des autres. Véritablement il ne serait pas éloigné de s’apitoyer sur le sort des nobles. Cependant, quoique ce soit une grande parole que celle-ci : « Le maître de tous est le serviteur de tous, » et que tous les sages l’aient répétée avec raison depuis Platon, à qui M. de Bonald aurait dû savoir qu’elle appartient, c’est là un précepte à faire entendre aux puissans, et ce n’est pas, ce ne sera jamais une excuse pour le monopole de la puissance. C’est ici la grande idée politique de M. de Bonald. « Dieu n’est connu que par son Verbe, l’homme par sa parole, et le pouvoir par son ministre. » Élément de la société, personne sociale aussi nécessaire que le pouvoir, le ministre s’impose au sujet comme le pouvoir lui-même. Il est comme lui héréditaire, comme lui propriétaire dans le sol, comme lui et sous lui exclusivement chargé de juger et de combattre. En homme pratique, M. de Bonald fait fi de cette noblesse toute de décoration, qui cherche une vaine importance dans un titre nu, et qui n’a point de part à l’autorité. Le noble juge et combat. Seul, il peut concourir à la formation des lois ; seul, il peut les appliquer ; seul, il peut commander les armées. M. de Bonald déplore amèrement la dégradation de l’ancienne magistrature, tombée en roture sous la monarchie. Malgré son admiration pour cette ancienne monarchie, ruinée plus tard des propres mains de nos rois, qui l’ont accommodée sur le patron des constitutions anglaises, il se montre sévère pour les abus qui s’étaient introduits. Le plus grand de tous à ses yeux, c’est l’abandon fait par la noblesse du droit exclusif de rendre la justice ; mais au moins on avait la vénalité des