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REVUE. — CHRONIQUE.

les prédictions de ceux qui annonçaient la catastrophe. Elle s’accomplit cependant : la France n’en fut que témoin.

Ceci nous ramène vers l’Orient. D’un côté, un sultan qui, dit-on, se meurt ; de l’autre, au Caire, un vieillard de soixante-quinze ans ; pour héritiers, à Constantinople un enfant, au Caire un homme qui a manqué à sa fortune en Syrie ; des populations mécontentes, la lutte de la croix avec le croissant, des pachas rebelles, une administration déplorable. C’est là l’exacte vérité. La diplomatie ne peut plus la dissimuler. Elle éclate de toutes parts. C’est au pacha d’Égypte que le sultan a dû s’adresser pour faire rentrer le shérif de la Mecque dans la ligne du devoir : c’est rendre le gouvernement de l’Arabie à Méhémet-Ali.

Au milieu de ces circonstances, une catastrophe, je ne sais laquelle, peut éclater à chaque instant ; elle peut prendre la diplomatie au dépourvu. Qu’arriverait-il ?

En supposant que la verte vieillesse du pacha se prolonge, et que la santé du sultan se rétablisse, le seul moyen d’étayer pour quelque temps encore ce vaste édifice qui s’écroule, serait précisément l’intimité de ces deux hommes. Au fond, ils ont le même intérêt, car la chute de Constantinople ébranlerait Alexandrie, et le vassal serait à la merci des combinaisons de la diplomatie, ou la victime de ses discordes. En se rapprochant de Méhémet-Ali, en traitant directement avec lui, en lui accordant sa confiance, le sultan rétablirait, sous une forme plus honorable pour lui, ce que le traité du 15 juillet a détruit. L’empire serait fort de la puissance et de l’énergie du pacha. C’est là le point essentiel. Désunis, tels que le canon de Beyrouth les a faits, ils sont sans force l’un et l’autre : le sultan, parce qu’il ne peut pas profiter de l’affaiblissement du pacha, et le pacha par l’abaissement moral qu’il a éprouvé plus encore que par ses pertes matérielles. Une union intime rendrait à Méhémet-Ali la force morale qu’il a perdue, tout en communiquant au sultan la puissance de son vassal. La Porte n’aurait rien à craindre de Méhémet-Ali surveillé par l’Europe, et le pacha n’aurait rien à redouter de la Porte, dont il serait au contraire le protecteur.

Probablement les intrigues, les préjugés et les passions s’opposeront à un rapprochement si utile aux deux parties. Toujours est-il que le sultan ne pourrait l’accomplir qu’en traitant ses affaires avec le pacha directement et sans intermédiaire aucun.

Par ces paroles, nous laissons entendre que le traité qu’on vient de signer, le traité du 13 juillet, n’a pas changé à nos yeux le fond des choses. Les dispositions de la Russie et de l’Angleterre sont toujours les mêmes. La Russie n’aime pas voir l’Europe et en particulier la France se mêler des affaires d’Orient, et exercer une influence à Constantinople ; lord Palmerston regrette que Méhémet-Ali ne lui ait pas donné quelque prétexte pour attaquer Alexandrie et lui arracher l’Égypte sous l’empire du traité du 15 juillet. Aussi le diplomate russe et le ministre anglais n’ont-ils signé le traité qu’à contre-