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Barentz, qui avait tant souffert pendant ces deux premiers voyages persistait à vouloir en entreprendre un troisième. Enfin les états-généraux firent annoncer qu’ils ne concourraient pas aux frais d’une nouvelle expédition, mais que, si quelque ville ou quelque société voulait la tenter, ils lui donneraient leur approbation, et que, si l’on atteignait cette fois au but, ils accorderaient à tous les matelots une récompense. Il n’en fallut pas davantage pour faire équiper aussitôt deux bâtimens. L’un fut confié à Barentz ; l’autre à un marin courageux et expérimenté, Jacques Heemskeerke, qui devait mourir glorieusement douze ans plus tard dans un combat contre les Espagnols.

Les deux navires partirent de Vlie le 18 mai, et le 30 ils étaient déjà au 69° 24′ de latitude septentrionale. Gérard de Veer, qui naviguait sur le bâtiment de Barentz et qui nous a laissé une naïve et touchante relation de son voyage, raconte que le 1er juin ils n’eurent point de nuit. Le lendemain ils observèrent un phénomène étrange : trois soleils placés à côté l’un de l’autre, traversés et entourés par trois arcs-en-ciel[1].

Le 7 juin, les deux navires, n’étant que par les 71° de latitude, aperçurent des blocs de glace flottans, entre lesquels ils naviguèrent bientôt comme entre deux terres. L’eau était verte comme l’herbe, et l’on se croyait près du Groenland. Quelques jours après on découvrit une île qui paraissait avoir cinq lieues d’étendue. Les matelots descendirent à terre, et ne virent partout qu’un sol aride, couvert de neige, de précipices et de fondrières. Ils rapportèrent sur leur bâtiment la peau d’ours énorme contre lequel ils avaient lutté pendant plus de deux heures. Barentz donna à cette île le nom de Beeren-Eiland (île de l’Ours). C’est celle que, dix ans plus tard, l’Anglais Bonnet baptisa du nom d’île Cherry, pour flatter la vanité de l’armateur de son navire, l’alderman Cherry[2].

Les bâtimens continuèrent leur route au nord et découvrirent, au 80e degré, une large côte à l’ouest, sans doute la côte du Spitzberg[3].

  1. Ce phénomène, connu sous le nom de parhélie, n’est pas rare dans les régions du nord. Il nous souvient d’avoir vu près de Tornéo une très belle parhélie qui, par ses rayonnemens horizontaux et perpendiculaires, avait la forme d’une croix. Mais on comprend quelle surprise ce spectacle devait causer à ceux qui n’avaient jamais entendu parler d’un tel phénomène et qui le voyaient pour la première fois.
  2. La corvette la Recherche a visité cette île en 1839, et en a déterminé la véritable situation.
  3. Quelques compagnons de Barentz prenaient encore cette côte pour une partie du Groenland ; mais la description qu’en fait Gérard de Veer ne se rapporte qu’au Spitzberg.