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une fureur extrême. À chaque côté de leur mufle, elle ont deux dents à peu près de la longueur d’un pied deux pouces qui sont aussi estimées que les dents d’éléphant, surtout en Moscovie et en Tartarie, et dans les autres lieux où l’on en fait usage, parce qu’elles ne sont ni moins blanches, ni moins dures, ni moins unies que l’ivoire. Le poil de leur barbe est comme de petites cornes, presque semblables à celles des porcs-épics. Les Anglais les nomment chevaux marins, et les Français vaches de mer ; mais parmi les Russiens qui les connaissent, de tout temps elles ont le nom de morses[1]. »

Les autres navires avaient fait des observations plus intéressantes. Ils avaient abordé à la Nouvelle-Zemble, à Wardœhus, au cap Nord ; ils avaient rencontré des Danois, des Norvégiens, des Russes, des Samoïèdes. La relation officielle de Linschoten, l’historiographe de l’expédition, les récits des deux capitaines qu’il avait accompagnés, et celui même de Barentz, moins séduisant que les autres, produisirent une vive rumeur en Hollande. On crut avoir enfin découvert le but que l’on se proposait d’atteindre, et les états-généraux organisèrent avec empressement une nouvelle expédition bien plus imposante que la première. Sept bâtimens furent équipés pour les riantes contrées de l’Inde où l’on espérait arriver à travers les glaces du Nord. Six étaient chargés de marchandises et d’argent monnayé. Quelques-uns des principaux négocians d’Amsterdam s’étaient disputé le privilége de faire cette cargaison, comptant bien en retirer de larges bénéfices.

Guillaume Barentz, l’un des principaux chefs de la première expédition, servait dans celle-ci en qualité de pilote major. Mais tout ce voyage, dont chacun attendait de si heureux résultats, ne fut qu’une suite de fatigues inouies et de déceptions. D’abord la flotte partit trop tard ; elle n’arriva devant la Nouvelle-Zemble qu’au mois d’août, lorsque la côte était déjà inabordable. Bientôt cernés par la glace, assaillis par l’orage, dix fois forcés de rétrograder, et dix fois essayant de continuer leur route, luttant avec opiniâtreté contre les remparts de glace, bravant le froid et la tempête, les capitaines, dès le mois de septembre, remirent le cap au sud, à la grande joie des matelots qui se trouvaient harassés de cette rude campagne, et que la rencontre des morses et des ours monstrueux, l’aspect des côtes arides et sauvages, n’effrayaient guère moins que les amas de glaces flottantes et la tempête.

  1. Recueil des voyages qui ont servi à l’établissement et aux progrès de la compagnie des Indes formée dans les Provinces-Unies, tom. I, pag. 39.