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mande au crime, par une des plus magnifiques hardiesses de l’expression humaine, de viriliser son sang, man my blood. Lady Macbeth, c’est le succès, le fait. Macbeth, c’est la poésie, engagée malgré elle hors de sa voie naturelle. Les poésies des escrocs de race bohême ou zingali que M. Borrow copie, offrent le commentaire le plus exact de ce que nous venons d’avancer.

Les systèmes et les théories sur la poésie ont abondé récemment, personne ne l’ignore. Entre autres singularités appuyées d’un grand renfort de préfaces, quelques critiques ont voulu nous persuader que la poésie brute était la meilleure ou plutôt la seule poésie. Afin de prouver cette assertion, les savans d’Allemagne, d’Angleterre et même de France ont publié des hymnes croates, des dithyrambes dalmates, des anthologies de Tombouctou et des tragédies tartares. Nous croyons peu à ces inventions, et nous ne sommes pas d’avis que l’essence de la poésie se trouve nécessairement dans le crime associé au laid et au grotesque. Cette intéressante triade ne représente pas plus la poésie que la nuit, l’ombre et l’obscurité ne représentent le soleil Par un effort d’agréable argumentation, l’on parvient sans doute à réconcilier ces contraires : « L’ombre suppose la lumière ; donc elle coexiste à la lumière ; d’où il résulte que la lumière et l’ombre ne font qu’un. » Procédé miraculeux qui atteste la puissance de la parole et l’infaillibilité du syllogisme.

Pourquoi cependant la laideur gigantesque du Satan de Milton ne révolte-t-elle pas le lecteur ? Pourquoi les héros de Byron, voués au pillage et au meurtre, excitent-ils l’intérêt ? Serait-ce que le crime passionné plaise à l’ame, ou que la laideur soit belle ? Non, certes. Mais l’art du poète, faisant pénétrer une sorte de beauté idéale au sein d’une idée brutale et farouche, accomplit ainsi une œuvre extraordinaire qui émeut et trompe l’esprit. Le chant des pirates dans le Corsaire, la résignation de Parisina dans le poème de ce nom, l’héroïque et indomptable fermeté de l’archange déchu dans le Paradis perdu, les développemens tendres et voluptueux qui abondent dans le poème de Don Juan, le dévouement naïf d’Haydée, l’aventureuse grandeur du Giaour, constituent les véritables élémens de l’intérêt poétique dont ces ouvrages sont pleins. C’est par un tour de force curieux à observer, et dont l’analyse philosophique n’a pas encore rendu compte, que l’essence divine de la poésie s’est ainsi déguisée sous l’apparence du fait brutal, et que le crime, le mal, le laid, le hideux, le grotesque, contraires par eux-mêmes et dans leur fonds réel à l’art véritable, ont paru le dominer, tandis qu’ils le subissaient.