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LES GYPSIES.

Tuerta, ou la Louche, sœur aînée de cette dernière. Quand ces diverses notabilités féminines se rassemblaient chez le saint homme, les conversations étaient fort intéressantes.

— Eh bien ! dit-il un jour à Pepa, je suis charmé de vous voir. Qu’avez-vous fait ce matin ?

— J’ai dit le baji (la bonne aventure) ; Chicharna a « fait la tire. » Nous n’avons pas été heureuses, et nous venons nous réchauffer à votre brasero. Quant à la Louche (la Tuerta), c’est une « holgazana, » une fainéante, qui ne veut ni dire le baji, ni voler.

La Tuerta, qui se sentit insultée, releva fièrement la tête, et regardant de travers la Pepa :

— Silence, mère des diables, dit-elle. Je vole quand il le faut, mais non pas à la tire ; je fais le hokkano, et je méprise la bonne aventure. Me diñela coche (mon cœur est plein de rage) quand on me parle du baji ! Vous savez d’ailleurs de quoi je suis capable !

Le « Scorpion » (la Kasdami), fille de treize ans, qui était debout près de sa sœur, prit alors la parole :

— Ma sœur a raison et je pense comme elle. Le métier de saltea-dora (voleuse de grande route), ou de chalana (maquignonne) vaut bien mieux que celui de diseuse de baji.

L’agent de la société biblique de Londres sentit qu’il était de son devoir de ramener la conversation de ces dames à une moralité et une convenance plus stricte, et s’adressant à la Tuerta :

— Vous ne prétendez pas, j’espère, Tuerta, que vos occupations ordinaires soient de voler sur la grande route ou de faire le maquignonnage ?

— Je suis chalana, frère, c’est-à-dire maquignonne, et tout le monde sait que je vole sur la grande route. Je m’habille en homme, et je vais ou avec les nôtres ou quelquefois seule, sur mon cheval, armée de mon escopette, comme cela m’est arrivé au passage de la Guadarrama. J’ai volé vingt Galiciens à la fois ; ils revenaient ensemble de la moisson, et sont tombés à genoux comme des lâches. J’aime un homme brave, qu’il soit boussné (étranger) ou kalo (de race noire). J’avais l’âge du Scorpion quand nous allâmes voler dans le cortijo d’un vieillard, à vingt lieues d’ici. Il était minuit quand nous pénétrâmes chez lui. Nous savions qu’il avait de l’argent, quoiqu’il ne voulût pas en convenir. Nous l’attachâmes et nous le torturâmes, lui brûlant les mains au-dessus de la lampe et le piquant de la pointe de nos couteaux sans succès. Enfin je m’écriai : « Essayons du poivre ! » Nous lui frottâmes donc avec le suc du poivre long l’intérieur des