Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/470

Cette page a été validée par deux contributeurs.
466
REVUE DES DEUX MONDES.

fait traduire dans leur patois l’Évangile de saint Luc ; tantôt, visitant dans sa caverne une vieille sorcière malade, il la force, moyennant une aumône, de raconter pendant des heures les scandales de sa jeunesse, et comment elle a fait dupes tous ces boussnés ou païens qui la trouvaient belle, et qui n’obtenaient d’elle que la faveur d’être volés. Non, jamais naturaliste n’a poursuivi avec autant de zèle et de constance la solution d’un problème scientifique, jamais érudit ne s’est enchaîné à l’énigme obscure d’une inscription phénicienne avec un dévouement pareil.

Ce n’est pas que M. Borrow tire un grand parti de sa découverte. Il est peu philosophe et ne rapproche guère les prémisses des conséquences. Il n’érige point de système, et laisse à peu près à l’état brut tous les matériaux qu’il entasse. Mais son récit n’en est que plus pittoresque. Vous voyagez avec lui ; vous vous asseyez à l’ombre des cavernes dans les désertes sierras, sous les liéges verts qui peuplent ces solitudes ; vous suivez dans les auberges des côtes d’Afrique, sous les mansardes de Madrid, sous la tente des nomades russes, ce guide qui ne vous inspirerait pas autant de confiance, s’il était moins naïf. Il raconte une foule de superstitieux souvenirs auxquels il ne veut pas avoir l’air de croire, mais dont la légende le charme par son invraisemblance même. Ce caractère crédule, qui fait l’excellence du livre, se serait encore augmenté et aurait conquis tout son charme, si l’auteur n’avait cru devoir, dans une ou deux circonstances, orner de fleurs son récit. C’est chose curieuse alors combien la fiction qui perce, malgré l’écrivain, fait de tort à la vérité, ou plutôt combien cette dernière, dans sa brutale vigueur, triomphe aisément de la fiction

Vers le commencement de ce siècle, une femme de talent, Mme Coltin en a fait l’épreuve. Une anecdote touchante, brodée par elle sous le titre d’Élizabeth, ou les Exilés en Sibérie, avait obtenu un succès populaire. Tout-à-coup l’exacte reproduction des faits détruisit ce triomphe, lorsque M. Xavier de Maistre s’avisa de rédiger sous une forme simple le procès-verbal de l’anecdote primitive. Heureusement pour le livre de M. Borrow, les ornemens que nous signalons, ornemens malheureux, occupent une très petite place dans cette œuvre. Si M. Borrow nous avait parlé un peu plus de lui-même, et que, suivant le cours de ses voyages, il nous eût fait parcourir avec lui les régions diverses qu’il a traversées à la recherche de sa race favorite, le livre y aurait beaucoup gagné. Mais contentons-nous de ce qu’il nous donne. Nous sommes charmé de ces fragmens, même épars, de