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EUSTACHE LESUEUR.

C’était un abri pour Lesueur ; il puisa dans l’affection et dans les conseils de Champagne une force nouvelle pour les sévères études qu’il s’était imposées. Poussin aussi veillait de loin sur lui, il le soutenait dans son isolement par de fréquentes lettres auxquelles il avait soin de joindre presque toujours quelques dessins de figures antiques qu’il avait faits à son intention, et dont il lui développait les beautés.

Lesueur a souvent dit depuis que rien dans sa vie ne lui avait été si utile, que rien n’avait excité si vivement son imagination et mûri si vite son esprit, que cette nouvelle sorte d’entretiens avec le Poussin, et surtout que l’envoi de ces dessins qu’il attendait avec impatience, qu’il recevait avec bonheur, sur lesquels il rêvait pendant des mois, et qu’il gardait pour lui seul comme d’intimes confidences. Il ne craignait point de dire que ces mêmes antiques ne lui auraient peut-être pas été d’un si grand secours, s’il fût allé les dessiner lui-même ; et pourtant il est probable qu’il n’eût pas hésité à suivre le Poussin jusqu’à Rome, si le projet d’un mariage selon son cœur ne l’eût alors retenu à Paris. Lesueur n’avait pas porté ses vues bien haut ; la personne qu’il épousait était sœur d’un de ses anciens confrères d’atelier, nommé Goussé, jeune fille pleine de piété et de solides vertus, d’une figure touchante, mais d’une frêle santé. Elle ne possédait rien, Lesueur non plus ; les embarras du ménage se firent bientôt sentir. Depuis trois ans Lesueur n’avait fait qu’étudier ; il fallut songer à travailler pour vivre.

C’était alors la mode d’orner de vignettes et de riches frontispices certains livres de luxe, et particulièrement les thèses de droit, de médecine et de théologie. Lesueur essaya cette industrie ; mais dans ses mains elle devint de l’art. Sa composition pour la thèse de M. Claude Bazin de Champigny est un chef-d’œuvre. C’est tout un tableau. Les quatre figures qui forment l’encadrement, et principalement les deux femmes placées dans le haut, sont posées et drapées avec une grace sévère qui n’est ni la pureté antique ni la science du Poussin, mais quelque chose qui ne provient d’aucune imitation. Le frontispice de la Vie du duc de Montmorency, celui de la Doctrine des Mœurs, et celui des Œuvres de Tertullien, sont conçus avec une facilité, une souplesse de talent, que domine toujours une sagesse alors si nouvelle et si rare. Dans le dernier, on voit saint Augustin et Tertullien assis vis-à-vis l’un de l’autre et dialoguant sur la théologie. Il est impossible de caractériser ces deux hommes avec plus d’esprit et de vérité. On conserve aussi le frontispice d’une Histoire universelle par un certain père jésuite dont le nom m’échappe, composition