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LES GYPSIES.

bois désert, une cave dans le faubourg, un grenier abject sous quelque toit de Séville, de Madrid ou de Cordoue ; car il y a de ces romi (tel est leur nom véritable et sacré) de ces kali (noirs) ou zinkali (noirs de l’Inde), non-seulement en Espagne, mais en Russie, en Hongrie, en Allemagne, en Angleterre, en Italie, où ils ont été tour à tour nommés égyptiens (gitani), gypsies, bohémiens, zingari, zigeuner. Partout ils ont les mêmes mœurs et se servent des mêmes mots, diversement modifiés par la syntaxe et les habitudes du pays qu’ils saccagent plutôt qu’ils ne l’habitent.

Tel est le peuple extraordinaire dont un Anglais, M. Borrow, agent de la société biblique de Londres, donne pour la première fois une description complète et détaillée.

Je ne connais rien de plus singulier et de plus curieux que la vie de M. Borrow, consacrée toute entière à l’observation d’une race d’hommes à laquelle lui-même n’appartenait pas. Chargé de répandre la Bible protestante dans les villages et les villes de l’Espagne, il s’occupe bien moins de son office que de l’investigation à laquelle toute son ame est attachée. C’est un personnage anglais vraiment complet. Il aime les bohémiens ; il ne sait pas pourquoi, il ne sait pas comment, mais il les aime. Partout où il espère les retrouver, il se porte d’un mouvement spontané et impétueux. Il dit lui-même, au commencement de son ouvrage, qu’il ignore d’où lui vient cette ferveur bohémienne. Il ne se montre pas seulement, dans son investigation, ardent et avide de renseignemens nouveaux, mais acharné à les poursuivre à travers tous les périls. Il étudie la langage des zinkali et ses dialectes ; il écrit ce langage, qui n’a jamais été écrit, et qui ne sert aujourd’hui qu’aux voleurs et aux plus déguenillés des hommes dans tous les coins de l’Europe moderne. Il descend dans les caves où les sorcières se consultent ; il donne à dîner à chaque bandit qu’il rencontre, et qui, se trouvant à merveille devant la table d’un gentilhomme, dévore le menu de cinq ou six repas ordinaires, non sans menacer l’amphitryon de son couteau.

Si le caractère des zingali est bizarre, celui de M. Borrow ne l’est pas moins. Nous ne sommes pas bien sûr qu’il se soit montré un fort zélé missionnaire, et que la société biblique lui doive des récompenses éclatantes ; mais, comme missionnaire de la science, et de cette science humaine aussi négligée que précieuse, il s’est montré vraiment infatigable. Tantôt dans un réduit infect, entouré de figures hâves et féroces, auprès du chaudron qui bout sur un brasier central, il transforme en littérateurs ces bizarres personnages, et leur